Les prisons ordinaires sous l’Ancien Régime

Posté par philippepoisson le 30 octobre 2008

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Tout a été dit sur l’état matériel des prisons de l’Ancien Régime, état qui d’ailleurs se prolonge bien au-delà de la Révolution. De nombreux documents attestent l’entassement des prisonniers, la promiscuité et l’insalubrité qui en résultent, les abus des geôliers … 

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Les pionniers du syndicalisme pénitentiaire

Posté par philippepoisson le 30 octobre 2008

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« L’Association Amicale des Gardiens de Prisons » créée le 12 décembre 1905, rallie le mouvement de « défense des salariés de l’Etat » qui considère que « l’Etat est un patron comme les autres » et réclame par conséquent de pouvoir se syndiquer, question fort controversée à l’époque. Avant cette date, les premières velléités de groupement, au sein du personnel de l’Administration Pénitentiaire, sont rares et timides.

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Naissance d’un bagne colonial

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

 

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L’idée du danger que représenterait la concentration de forçats en cours de peine dans les ports de Toulon, de Brest et de Rochefort[1] se répand surtout dans les années 1830. La population craint qu’ils deviennent alors les centres d’une infection menaçant le corps social par ceux qui s’en échappent ou en sortent libérés. Et alors que le bagnard coûte bien moins cher qu’un travailleur libre, la bourgeoisie découvre le formidable vivier de main d’œuvre de tous ceux qui quittent les campagnes pour venir travailler dans les villes. Ne sachant pas s’il faut craindre la communauté des bagnards plus que le prolétariat naissant, les gouvernements veulent surtout éviter la mauvaise influence des premiers sur les seconds.

 

 

En 1845, des bourgeois de Rochefort affirment : « Nous arrivons au moment où ces gens que la société a flétris et bannis de son sein auraient tous les agréments de la vie, quand d’honnêtes familles d’artisans, presque tous nos cultivateurs, manquent de nécessaire. Si quelque chose doit surprendre depuis longtemps, c’est que l’on ait maintenu dans ces ports des êtres qui, a de rares exceptions près, n’aspirent point à leur réhabilitation dans la société.»

 

Une succession de rapports, d’affirmations, de statistiques affluent vers les bureaux parisiens, proposant tous d’exclure de la métropole les condamnés aux travaux forcés. « Des sociétés philanthropiques éclairées s’offusquent du spectacle « répugnant » de forçats traînant leurs chaînes et tombant comme des mouches : on meurt trois ou quatre fois plus que la normale au bagne. Moins humanitaires mais plus efficaces sont les pétitions réitérées de conseils généraux des départements concernés par les bagnes qui réclament la déportation des condamnés et des forçats libérés».[2]

 

Les événements de juin 1848 permettent de faire bientôt l’amalgame entre les ouvriers dévoyés par les idées révolutionnaires et les forçats ennemis de la propriété. L’idée de la transportation, de la déportation, va faire disparaître du sol national cette double menace. En 1850, le prince-président Louis Napoléon qui avait déjà déporté vers l’Algérie des milliers de condamnés renfermés des journées de juin 1848[3], décide aussi d’en finir avec les bagnes portuaires : « Six mille condamnés renfermés dans nos bagnes grèvent le budget d’une charge énorme, se dépravent de plus en plus et menacent incessamment la société. Il me semble possible de rendre la peine des travaux forcés plus efficace, plus moralisatrice, moins dispendieuse et plus humaine en l’utilisant aux progrès de la colonisation française ».

 

Et dès 1852, on vide les bagnes de Rochefort puis de Brest pour diriger les condamnés vers la Guyane française, avant qu’une loi du 30 mai 1854 ne précise que la peine des travaux forcés servirait désormais aux tâches les plus pénibles de la colonisation. Après les bancs des galères et le labeur des arsenaux, les forçats vont connaître désormais les chantiers de la forêt amazonienne[4].

 

Avec cette loi de 1854, il s’agit non seulement d’assainir la métropole de ses parasites et de ses déchets sociaux, mais aussi de faire œuvre utile en peuplant et en fortifiant un empire en extension. « Le débouché colonial est donc un exutoire à l’augmentation démographique de la délinquance, à la récidive, à l’activité révolutionnaire, à l’encombrement des prisons ».[5]

 

La première vague de déportation en Guyane fut celle des prêtres réfractaires, des proscrits et déportés politiques de la Révolution et du Premier Empire. Désormais, les forçats transportés à partir du Second Empire vont faire de la Guyane la « Terre de la grande punition ».

 

Dès 1852, le transport des condamnés est assuré par les bâtiments à voiles de la marine nationale équipés de grandes cages et les conditions de voyage sur ces voiliers sont particulièrement rudes.

 

Cette période du bagne est marquée par une hécatombe due aux épidémies, à une administration déficiente, à l’absence de soins et aux mauvais traitements. Le taux de mortalité atteint 26 % de l’effectif des bagnards en 1856, à tel point qu’en 1867, on décide de remplacer la Guyane par la Nouvelle-Calédonie. En 1897, la Guyane demeure néanmoins la seule destination des forçats.

 

Avec la loi dite de la relégation votée le 27 mai 1885 à une très forte majorité par les députés d’une Chambre de centre gauche d’une IIIe République naissante, les condamnés pour délits mineurs, mais répétés, sont envoyés dans les bagnes à une mort certaine et rapide sans possibilité de retour, L’article premier de cette loi a au moins le mérite d’être explicite : « La relégation consistera dans l’internement perpétuel, sur le territoire des colonies ou possessions françaises, des condamnés que la présente loi a pour objet d’éloigner de la France ».

 

Si la transportation disparaît du Code Pénal français par décret-loi du Front Populaire en 1938, la relégation subsiste dans les textes. Sous le régime de Vichy, une nouvelle hécatombe provoquée par les rigueurs d’une administration impitoyable et par une alimentation déficiente due aux difficultés de ravitaillement, se traduit par un taux de mortalité de 20% de l’effectif des bagnards en 1942.

 

Cette tragique aventure se termine le 1er août 1953 lorsque le San Matteo ramène en France les derniers condamnés en cours de peine et les fonctionnaires des services de l’administration pénitentiaire. C’est la fin du bagne[6]. Une partie des archives restera sur place jusqu’en 1975.

 

Ces derniers bagnards de retour vers les ports français témoignent d’une histoire séculaire qui concerne près de 100 000 condamnés (dont quelques centaines de femmes de 1859 à 1906).

 

Les femmes, dans les bagnes, comme partout ailleurs, furent les plus trompées, les plus exploitées, les plus piégées, les plus punies. L’historienne Odile Krakovitch a les mots justes lorsqu’elle écrit à leur sujet : « La criminalité féminine fut, de tout temps, bien inférieure à la criminalité masculine. Leurs délits découlaient le plus souvent des conditions qui leur étaient faites dans la société : mères non consentantes, elles tuaient les enfants qu’elles ne pouvaient faire vivre, mères célibataires, elles volaient pour survivre. Envoyées au bagne pour des délits en général moins graves que ceux commis par les hommes dont elles n’étaient souvent que les complices, elles servirent de bétail. Le choix qui leur était offert n’était qu’une duperie permettant à la société de se procurer à bon compte des victimes consentantes. »[7]

 

Avec la loi inique votée en 1885 sur la relégation, les bagnes sont ouverts encore plus largement aux femmes, aux multi-récidivistes, aux coupables de petits délits, de petits vols. De ce point de vue, la IIIe République naissante se montra encore plus inhumaine que le Second Empire…

 

 

Sources

 

 

– Danielle DONET-VINCENT, La fin du Bagne, Editions Ouest-France, mai 1992.

 

- Pierre DUFOUR, Les Bagnes de Guyane, Pygmalion, département de Flammarion, 2006, p. 36.

 

- Michel PIERRE, La légende noire du Bagne, le journal du forçat Clémens (présenté par), Découverte Gallimard, 1992, pp 83-84.

 

- Odile KRAKOVITCH, « Les femmes envoyées au bagne pour cause de vol », dans Bulletin d’information des Etudes féminines (BIEF), Aix-en-Provence, 1983, p. 61-81.

 

 

Philippe Poisson – Décembre 2006


 

 

 


 

 

[1] Implantation des bagnes maritimes.

 

[2] Pierre DUFOUR, Les Bagnes de Guyane, Pygmalion, département de Flammarion, 2006, p. 36.

 

[3] Loi du 24 janvier 1850 sur la transportation des insurgés suivie de la loi de la même année du 8 juin sur la déportation consécutive à la suppression de la peine de mort encourue pour crime politique.

 

[4] Les ports restent jusqu’au milieu du XIXe siècle le lieu d’enfermement des condamnés. Les bagnes des ports ferment progressivement dès lors que les forçats sont acheminés vers la Guyane : Rochefort en 1852, Brest en 1858, Toulon en 1873.

 

[5] Op. cit. Pierre DUFOUR, pp. 39-40

 

[6] Danielle DONET-VINCENT, La fin du Bagne, Editions Ouest-France, mai 1992.

 

[7] Odile KRAKOVITCH, « Les femmes envoyées au bagne pour cause de vol », dans Bulletin d’information des Etudes féminines (BIEF), Aix-en-Provence, 1983, p. 61-81.

 

 

 

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Le personnel pénitentiaire

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

 

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« Le personnel pénitentiaire, ceux qu’on appelle, dans le langage courant, les gardiens ou gardiens de prison sont appelés de façon plus officielle des surveillants. Mais le champ est large, du littéraire archaïque à l’argot contemporain, pour désigner ces piliers mal-aimés de l’édifice social

 

 

Cachés dans la poussière des ruines, qui se souvient des « ergastulaires », athlètes musclés, fouetteurs d’esclaves ? Littéraire encore, mais encore compris, le « geôlier », qui garde la geôle, évoque parfois une belle geôlière (genre Chartreuse de Parme). On est visiblement en plein roman. La destinée du mot suit d’ailleurs des détours imprévisibles puisqu’il est à l’origine d’enjôler : emprisonner d’abord, puis abuser par de belles paroles … »

 

 

Plus sérieusement

 

 

Sous l’Ancien Régime, on utilisait rarement le terme de « gardiens ». On parlait plutôt de concierges et de geôliers, de guichetiers et de porte-clés. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié des années 1760, avec la création des dépôts de mendicité, qu’il est enfin question de gardiens. Dès lors, le vocable traverse tout le XIXe siècle.

 

 

«Toutefois, il est question de « surveillants » et non de « gardiens » dans les prisons parisiennes dès l’ordonnance de Pasquier du 10 septembre 1811 : il semble que le terme a d’abord désigné les gardiens qui surveillaient ainsi que ceux affectés aux quartiers de jeunes détenus. Par extension, il fut appliqué aux gardiens travaillant « en détention », ceux étant en poste aux portes se faisant appeler « gardiens » de préférence à « portiers » ou « guichetier ».

 

 

Ce problème de terminologie démontre que les fonctions de garde (extérieure) et de surveillance (intérieure) étaient dissociées, comme elles l’étaient aussi, d’ailleurs, dans les maisons centrales, les « portiers » bénéficiant d’un statut différent de celui des « gardiens ».

 

 

La sécurité externe des maisons centrales fut très longtemps (encore au XXe siècle pour certaines d’entre elles) assurée par la troupe de ligne »

 

 

Enfin le 2 août 1919, l’appellation de gardien disparaît de la terminologie officielle de l’Administration pénitentiaire pour être remplacée par celle de « surveillant »

 

 

Pour en savoir plus, on peut lire ou relire

 

 

Christian Carlier, Histoire du personnel des prisons françaises du XVIIIe siècle à nos jours, Les Editions de l’Atelier / Editions Ouvrières, 1997.

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La réforme Amor

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

La réforme Amor[1]

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La situation des prisons en 1946 : 11 maisons centrales anciennes, pour beaucoup endommagées par faits de guerre (Caen, Loos, Nîmes, Poissy), toutes en commun, presque sans aménagements sanitaires et surpeuplées ; on va bientôt en compter 14 ;

 

232 maisons d’arrêt dont 52 seulement cellulaires dans lesquelles vit une population pénale trois fois trop nombreuse, dans l’oisiveté totale, dans une promiscuité regrettable et avec des installations sanitaires pour le moins déficientes ; il ne va pus y en avoir que 160 ;

 

66 000 détenus, au lieu de 18 500 au premier janvier 1939 ;

 

8 000 surveillants (au lieu de 2 700 en 1939).

 

La réforme Amor fut affaire de contexte, d’idées, de méthodes et d’acteurs.

 

Le contexte. Complexe et contradictoire, avec des éléments favorables au développement de la réforme, en particulier une France à reconstruire qui va devoir faire flèche de toutes les sources de main d’œuvre possibles, immigrés, prisonniers de guerre mais encore de droit commun. Car il urge de vider des prisons qui débordent de collaborateurs. La réinsertion est évidemment facilitée, au sein d’une société qui a soif de main d’œuvre. Le négatif du contexte réside dans une surpopulation pénale dépassant celle des prisons de Vichy, qu’il faut gérer avec des moyens de misère, compte tenu de la situation économique et financière de la France.

 

Les idées. Elles viennent de loin dans le temps, des années 1870, quand fut fondée à Turin, lieu-phare de l’Unité italienne, sous la houlette du médecin Lombroso, du juriste Ferri et du magistrat Garofalo l’école de la défense sociale, autrement baptisée du positivisme italien. Les pères de la criminologie remettaient en cause tout l’édifice du droit pénal beccarien, dit classique. Evaporée, au moins réduite à quasiment rien, l’idée fondamentale suivant laquelle un délinquant est responsable à un double titre : il sait qu’il transgresse et il sait ce qu’il risque. Et doit être puni en conséquence, notamment par la prison qui châtie. Au lieu de cela, Lombroso dispose que l’on naît criminel, et que cela se soigne, voire s’élimine. Ferri, militant socialiste, assène pour sa part que la société inégalitaire est responsable, tout ou partie, plutôt « tout » que « partie », de la production de la délinquance : la prison nouvelle doit devenir centre de rattrapage, en matière d’éducation, de soin, pourquoi pas d’affection. Une révolution, des prisons lieux de traitement plutôt que de punition. Les juristes français, classiques, néo-classique ou éclectiques avaient résisté pendant 70 ans à cette « hérésie », ce qui n’avait pas été le cas dans un grand nombre de pays européens ou américains. La Belgique notamment, qui sous l’inspiration d’Emile Vandervelde, avait accompli sa « révolution pénitentiaire » dès la fin du premier conflit mondial.

 

Une guerre plus tard, c’est au tour de la France d’adopter ce « système de pensée », une France pressée par ailleurs de faire oublier l’innommable accompli dans les prisons vichystes. Idées révolutionnaires, et méthodes qui ne le sont pas moins. La réforme Amor, c’est d’abord la notion de travail d’équipe, à tous les niveaux, administration centrale comme au sein des établissements. Les pénitentiaires y ont leur place, mais formés autrement, ils s’ouvrent à de nouveaux agents (assistantes sociales et éducateurs) et partagent le territoire de la prison avec une flopée d’intervenants extérieurs : psychiatres, psychologues, enseignants, orienteurs, etc. Ce territoire partagé est placé sous un double regard celui de la société civile, par le biais de ces intervenants et des « visiteurs » devant qui, dans la continuité de Vichy, les portes continuent de s’ouvrir ; mais encore celui de magistrats – qui devaient finir par s’appeler juges de l’application des peines – lesquels disposent en particulier du pouvoir de classement des détenus, dans une phase ou l’autre du régime progressif, mais encore dans un établissement mieux adapté qu’un autre au « profil criminologique » des détenus tel que défini initialement au centre de triage de Fresnes, futur CNO.

 

Prisons métamorphosées donc. Ontologiquement. Du fait que la prison est conçue comme un « territoire d’espérance », elle devient un « sas de décompression » où est distribué le traitement adéquat qui permettra au prisonnier de rentrer amélioré dans la société, avec la phase de transition presque systématique du « milieu ouvert ». Lequel doit petit à petit réduire la prison à une peau de chagrin, les « courtes peines » n’y ayant plus leur place.

 

Les acteurs : outre Paul Amor, qui fut évincé dès 1947, on trouve aux commandes une équipe, appelée à assurer, c’est à souligner, la continuité de la réforme. Aucun n’est un révolutionnaire, pas même un homme de gauche. Les Cannat, Pinatel, Gilquin ont été recrutés avant ou pendant Vichy, ce sont des hommes profondément croyants, car la réforme Amor, résistante et criminologue, est aussi d’inspiration chrétienne.

 

La mise en œuvre se fit dans l’enthousiasme, malgré le manque de moyens. Il fut décidé de réserver la réforme à un nombre très limité d’établissements. Symboliquement, furent concernées en priorité les prisons implantées dans des départements confisquées par les Allemands malgré la convention d’armistice de 1940 : Alsace et une partie de la Lorraine. Les fleurons de la réforme Amor ont pour noms Haguenau, Ensisheim, Mulhouse, Oermingen, Ecrouves…. Plus le centre de triage de Fresnes, ouvert pendant l’été de 1950.

 

La mise en œuvre de la réforme contient en germe les difficultés auxquelles ses artisans allaient se heurter. D’une part, peu de prisons sont concernées, et les réformateurs ne prennent pas de risque en y affectant des prisonniers triés sur le volet. D’autre part, l’enthousiasme des acteurs s’accompagne de beaucoup d’improvisation. On expérimente, on remet à plus tard le soin de « légaliser ». Est ainsi créée une France pénitentiaire à deux vitesses, avec des établissements dotés de budgets confortables, cependant que le reste (les ¾ des établissements et les 4/5 des détenus) subsiste difficilement dans la pénurie sinon la misère.

 

Ces causes structurelles expliquent les critiques dont la réforme fut l’objet, cependant que, malgré de beaux fruits, ses acteurs finirent assez vite par s’essouffler. Les décrets de 1952, puis le code de procédure pénale de 1958 commencèrent d’y mettre bon ordre. Mais la raison principale de la fin de la réforme réside dans les événements d’Algérie. Les militants indépendantistes, grévistes de la faim, obtinrent du garde des sceaux Edmond Michelet un statut spécial grâce auquel l’administration pénitentiaire dut les loger dans des conditions décentes : les seuls établissements adaptés étaient ceux de la réforme Amor. Un peu plus tard, les évasions multipliées de partisans de l’Algérie française entraînèrent l’administration pénitentiaire à se doter de moyens draconiens de sécurité.

 

De grands bâtisseurs

 

La reprise en mains, au point de vue sécuritaire mais encore disciplinaire, de l’administration pénitentiaire fut accompagnée d’une politique volontariste de constructions nouvelles. Les deux grands artisans de cette politique nouvelle (on n’avait quasiment plus construit de prisons depuis la guerre de 14-18) furent le garde des sceaux Jean Foyer et le directeur de l’administration pénitentiaire Robert Schmelck.

 

En réalité, la « rupture » fut moins radicale qu’on ne l’a écrit. D’une part, il avait fallu « réparer » les bâtiments abîmés par la guerre. En 1950, avaient été détruites ou gravement endommagées 2 maisons centrales (Caen et Loos) et 13 maisons d’arrêt. Dès 1955, le directeur Touren lançait un ambitieux « programme de modernisation du régime des maisons d’arrêt » qui concernait 25 établissements sur 163 (Amiens, Besançon, Béthune, Blois, Bourges, Briey, Caen, Carcassonne, Chambéry, Chaumont, Douai, Evreux, Laval, Le Puy, Lisieux, Mende, Montauban, Nevers, Orléans, Reims, Saint-Malo, Soissons, Tarbes, Tours, Valence). Profitant d’une chute spectaculaire de la population pénale (du fait des amnisties successives dont bénéficièrent les collaborateurs), il envisageait un retour au régime cellulaire, du moins dans ces 25 prisons.

 

Toujours en 1955, le 1er juin, était rouverte la prison de Beaune (désaffectée depuis 1952), que l’administration destinait à recevoir les condamnés difficiles qui, en raison de leur agressivité, « paraissaient justiciables pendant un temps d’un régime de stricte discipline ». L’ancêtre des « QHS ».

 

Le tournant était intervenu dès 1956, avec la fin de la baisse de la population pénale et une population d’Afrique du Nord posant d’évidents problèmes de sécurité. Dès 1957, les réformes nouvelles étaient abandonnées, la plupart des circulaires portant sur la sécurité. Dans les maisons d’arrêt, on tripla les cellules.

 

En 1958, cependant que la consécration législative du Code de procédure pénale était intervenue et qu’avait été créé au sein de l’administration centrale le Bureau de probation et de l’assistance post-pénale, la population des prisons était passée de 23 à 28 000 détenus, dont près de 10 000 étaient des nord-africains. En juin, avait été rouverte pour accueillir les condamnés de cette origine la maison centrale de Riom et la maison centrale de Loos, la caserne Thoiras du centre pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré, mais encore les maisons d’arrêt d’Angers et de Douai leur étaient réservées.

 

L’ordonnance du 6 juin 1958, instituant le statut spécial du personnel, intervient après que, fin mars – début avril, de graves incidents se furent produits dans quelques établissements. Pierre Orvain, nommé directeur de l’administration pénitentiaire en 1959, tenta mais en vain d’infléchir le cours irréversible de l’histoire : « Le souci d’une humanisation toujours plus grande des conditions de détention, l’application de traitements adaptés aux condamnés et la recherche de leur reclassement social, sont demeurés pour l’administration pénitentiaire des principes irréversibles », écrivait-il à la fin de cette année-là. Un chant du cygne. L’entrée en vigueur du code de procédure pénale, le 28 février 1959, avait, il est vrai, avec la diminution du nombre de prévenus, fait chuter la population pénale de 28 386 à 26 795 détenus. Toujours cette même année 1959, s’ouvrait le chantier de construction de la nouvelle maison d’arrêt de Valenciennes. L’entreprise de (re)contruction est considérable. Dans la direction régionale de Lille, pas moins de 13 maisons d’arrêt sont considérées comme étant à désaffecter (Arras, Beauvais, Compiègne, Boulogne, Cambrai, Dunkerque, Saint-Quentin, Saint-Omer, Laon, Valenciennes, Avesnes, Charleville, Châlons-sur-Marne). L’ère des nouvelles constructions était inaugurée. Encore que, tant à Loos qu’à Rouen, végétaient les projets de grands travaux de rénovation. 1961 est l’année décisive. Robert Schmelck est nommé directeur de l’administration pénitentiaire, il initie puis pilote (en compagnie de Jean Malbec, nommé à la tête d’un Bureau des constructions nouvelles), un « Plan de Rénovation de l’Equipement pénitentiaire » et entend promouvoir « une application humaine et réaliste de la privation de liberté ».

 

Dans le même temps, l’intérêt des responsables pénitentiaires se porte sur le statut légal et le traitement des mineurs et des jeunes adultes. A Rouen et à Fresnes, sont ouverts des établissements expérimentaux pour les jeunes condamnés. Avec le phénomène des « blousons noirs », l’administration pénitentiaire s’inquiète du « traitement » à réserver aux classes d’âge de 18 à 25 ans. Un groupe de travail est constitué, qui envisage une progression de la population pénale de cette catégorie de 3 854 en 1961 à près de 10 000 en 1970. Deux grands principes sont dégagés : le traitement en groupe et la mise en place d’activités occupant les jeunes en permanence. Le malheur est qu’à la même époque, les éducateurs connaissent une crise de recrutement particulièrement aiguë. Est décidé de recruter des surveillants « jugés particulièrement dignes » comme éducateurs adjoints.

 

En 1962, pas moins de 5 451 détenus nord-africains sont libérés, mais ont été incarcérés 1 688 « activistes ». Le 1er juillet 1963, la maison centrale de Fontevrault est fermée et Robert Schmelck établit rapports sur rapports, visant à démontrer que 49 maisons d’arrêt, 10 centres de jeunes détenus et 7 maisons centrales sont à construire, 50 maisons d’arrêt et 12 maisons centrales sont à rénover et 121 prisons sont à considérer comme inutilisables. Soit 21 000 places à construire et 13 500 à rénover. Un programme pharaonique. Pour un coût de 850 millions, estime le directeur. Il n’en a trouvé que 117. Robert Schmelck songe aussi, 12 ans avant la réforme Lecanuet de 1975 créant les centres de détention, à instaurer le régime progressif non plus dans le même établissement, mais d’un établissement à l’autre. Pour le reste, il signifie, sans précautions de plume excessives : « La prise de conscience des buts sociaux de la peine, la profonde transformation des méthodes de détention qui en a été la conséquence ne vont pas sans quelque inconvénient pour la sécurité des établissements et l’obligation de garde qui continue d’incomber au premier chef à l’administration pénitentiaire. Elles accroissent incontestablement les risques. Ces risques inéluctables, il faut bien les admettre dans une certaine mesure. Mais dans une certaine mesure seulement. »

 

La Réforme Amor a vécu. Mais la politique de grands travaux, initiée avec Valenciennes, aboutit à la construction de 11 établissements, dont 10 sont l’œuvre de Guillaume Gillet, l’architecte connu surtout pour la réalisation des prisons de Fleury-Mérogis, dont les travaux avaient démarré dès 1964.

 

Orientations bibliographiques

 

- Amor (Paul). La réforme pénitentiaire en France, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1947, n° 1, p. 1-30.

 

- Amor (Paul). Le « probation system », ou système de l’épreuve surveillée. Rapport et discussion, Revue pénitentiaire et de droit pénal. Bulletin de la Société générale des prisons, tome 72, 1948, n° 1-3, janvier-mars, p. 6-26; n° 7-12, juillet-décembre, p. 233-243; tome 73, 1949, p. 1-8, 138-155.

 

- Amor (Paul). Le système pénitentiaire de la France, in Les grands systèmes pénitentiaires actuels, Paris, Sirey, 1950, p. 155-186.

 

 

- Amor (Paul). Situation des services pénitentiaires et projets de réforme. Rapport (avec annexes) et discussion, Revue pénitentiaire et de droit pénal. Bulletin de la Société générale des prisons, tome 71, 1947, n° 1-2-3, janvier-avril, p. 4-136, n° 4-5-6, mai-juin, p. 165-245.

 

- Arpaillange (Pierre). Hommage à Paul Amor, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1985, n° 1, p. 164-166.

 

- Carlier (Christian). Paul Amor et l’affaire de la prison de Laon, Histoire pénitentiaire, volume 3, Paris, Paris, Direction de l’Administration pénitentiaire, Collection Travaux & Documents, 2005, p. 54-80.

 

- Graven (Jean). M. Paul Amor, ancien directeur de la Section de Défense sociale des Nations-Unies, Revue internationale de criminologie et de police technique, vol. IX, 1955, n° 3, juillet-septembre, p. 230-233.

 

-La réinsertion des délinquants : mythe ou réalité ? 50e anniversaire de la réforme Amor, Université d’été, Aix-en-Provence, 18-21 septembre 1995, organisée par l’Institut de sciences pénales et de criminologie d’Aix-en-Provence, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1996, 280 p.

 

 

 

1]Extraits : Un article de synthèse, « Histoire de l’administration pénitentiaire de l’Ancien régime à nos jours », de Christian Carlier :

http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article158.html

 

 

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La réforme Amor et sa mise en œuvre dans l’immédiat après-guerre (1944 – 1950)

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

La réforme Amor et sa mise en oeuvre
dans l’immédiat après-guerre

(1944 – 1950)

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(Support pédagogique des élèves- officiers pénitentiaires issus du concours externe) – Juillet 2007- Intervenant Philippe POISSON – Formateur des Personnels – ENAP.

Nommé directeur de l’administration pénitentiaire par le garde des Sceaux François de Menthon le 30 septembre 1944, le magistrat Paul Amor met immédiatement en œuvre une réforme fondamentale du système pénitentiaire. Puissamment secondé par les magistrats Pierre Cannat et Charles Germain, il s’inspire des idées du mouvement de la Défense sociale nouvelle de Marc Ancel, et s’ancre dans la longue tradition chrétienne qui accompagne l’histoire pénitentiaire depuis le Moyen-Age.

 

I. La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné.

 

La prison doit constituer un facteur d’évolution plutôt que de rester figée dans la punition, le principe fondamental étant l’amendement du condamné. La réforme s’appuie sur une différenciation très développée des régimes de détention, afin de permettre une individualisation maximale de l’exécution de la peine. Le traitement social, médical, psychologique, psychiatrique, scolaire ou professionnel du délinquant vaut mieux que le châtiment, le milieu ouvert est préférable au milieu fermé.

 

* Le traitement des jeunes

 

En 1947, une prison-école est ouverte à Oermingen en Alsace. Destinée à recevoir des condamnés majeurs de 18 à 25 ans, elle présente trois phases qui mènent le jeune de l’observation, menée dans la solitude d’une cellule de la maison d’arrêt de Rethel, à l’éducation à Oermingen, en ateliers, salle de classe, salle d’éducation physique, puis à la phase dite de « confiance », avec un régime assoupli : plus de confort, usage de la radio, lavabos individuels, gratifications pécuniaires, plus de liberté dans le camp, promenades et sorties extérieures, parloirs libres.

 

* Les « forçats récidivistes »

 

En janvier 1947, la maison centrale d’Ensisheim est affectée à la détention des forçats récidivistes, c’est-à-dire les coupables de crimes (assassinats, meurtres, vols qualifiés, incendies, affaires de mœurs, infanticides). Sur les 422 hommes détenus à Ensisheim de 1947 à 1953, 48 peines sont des peines de moins de 10 ans, 265 des peines de 10 à 20 ans, 109 peines perpétuelles, plus 37 condamnés en peine complémentaire à la relégation soit 146 peines perpétuelles.

 

  • Le régime progressif

Le régime progressif réservé aux condamnés à une longue peine est appliqué en France dans les établissements pénitentiaires dits « réformés » de Caen, Ensisheim, Melun, Mulhouse. Le régime progressif consiste à faire passer le détenu par des étapes successives de l’isolement total à la semi-liberté puis à la libération conditionnelle, si son degré d’amendement est jugé suffisant. La décision de passage d’une phase à l’autre appartient à une commission de classement intérieure à la prison, mais présidée par le juge de l’application des peines, et composée du directeur, des éducateurs, de l’assistante sociale, du surveillant-chef et du médecin le cas échéant.

 

En 1966, l’architecte Guillaume Gilet construit en Haute-Garonne la maison centrale de Muret, établissement où le régime progressif pourra être appliqué dans sa plénitude. Quatre quartiers séparés les uns des autres y jouissent d’une certaine autonomie :

 

- le quartier d’observation, dans lequel les détenus sont placés à l’isolement cellulaire diurne et nocturne. Pour une période de 7 à 9 mois, les détenus sont isolés de jour comme de nuit, ils mangent et travaillent en cellule, et effectuent leur promenade quotidienne d’une heure, seuls. La solitude est atténuée au bout de trois mois, car les détenus dits de la première phase peuvent faire du sport ensemble. Ils sont en contact avec l’éducateur, le directeur de l’établissement, l’assistante sociale et l’aumônier. Ils peuvent lire les livres et les revues de la bibliothèque.

 

- le quartier de détention, où les détenus travaillent en commun pendant la journée dans les ateliers et ne regagnent leur cellule que pour la nuit. L’amendement du condamné est favorisé par l’action éducative et l’enseignement scolaire.

 

- le quartier d’amélioration, où les détenus en phase de « confiance » bénéficient d’un régime plus ouvert. Ils possèdent une cellule individuelle pour la nuit, mais vivent en groupe pendant le jour, prennent leur repas dans un réfectoire commun, et peuvent faire eux-mêmes leur cuisine. Ils passent leurs moments de loisirs dans des salles de réunion où ils peuvent pratiquer des jeux divers et écouter de la musique.

 

- le quartier de semi-liberté, à l’écart des autres espaces de détention, que les détenus regagnent le soir après leur journée de travail à l’extérieur. Ils n’accèdent à cette quatrième phase que lorsqu’il ne leur reste que trois ans maximum à purger.

 

La réforme initiée par Paul Amor (qui exerce ses fonctions de directeur de l’administration pénitentiaire jusqu’en septembre 1947) trouve son parachèvement par la création, à Fresnes, en août 1950, d’un Centre d’orientation des condamnés, (ou comme on dira plus tard Centre national d’observation). Une équipe spécialisée, composée d’un médecin, d’un psychiatre et de psychotechniciens, accueille des « promotions » de 80 détenus condamnés à plus d’un an d’incarcération.

 

L’institution pénitentiaire entre dès cette période dans l’ère des experts en sciences sociales, qui entourent désormais le condamné (éducateurs, délégués à la liberté surveillée, psychiatres, psychologues).

 

III. Le traitement infligé au prisonnier, hors de toute promiscuité corruptive, doit être humain, exempt de vexations, et tendre principalement à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration.

 

Peu à peu, les punitions collectives sont supprimées. Si le mitard perdure, sans chauffage, au pain sec et à l’eau claire, finie en 1946 la « salle de discipline » qui consistait à obliger le prisonnier à marcher, sabots aux pieds, au pas cadencé pendant des heures, finie l’obligation pour les détenus de se mettre « face au mur » lors de chaque appel, supprimés en 1954 la tonte obligatoire des cheveux pour les condamnés, et le port des sabots, autorisée en 1947 la cigarette à titre de récompense. Enfin, malgré des essais de remise en vigueur de la loi de 1875 sur l’encellulement individuel, le port de la cagoule est définitivement supprimé en 1950.

 

Les bibliothèques des prisons où figurent désormais revues et périodiques sont réorganisées. Des activités en commun (la radio, le sport) sont autorisées. Quelques parloirs sont aménagés sans dispositifs de séparation pour les visiteurs qui pénètrent de plus en plus nombreux dans les prisons.

 

IV. Tout condamné de droit commun est astreint au travail et bénéficie d’une protection légale pour les accidents survenus pendant son travail. Aucun ne peut être contraint à rester inoccupé.

 

* Le travail

 

L’administration pénitentiaire fait bénéficier les détenus de la loi sur les accidents du travail du 30 octobre 1946.

 

X. Dans tout établissement pénitentiaire fonctionne un service social et médico-psychologique.

 

* La santé

 

L’obligation de créer un service médical au sein des prisons se fait urgente, la tuberculose faisant toujours des ravages dans les établissements. L’administration ouvre un centre de détention spécialisée à Saint-Martin-de-Ré pour les hommes, et à Saint-Malo pour les femmes. Les médecins-inspecteurs de la santé demandent le libre accès aux prisons, mais se heurtent aux réticences des chefs d’établissements.

 

Une tentative -sans suite par manque de moyens- est faite après la guerre de mettre en place des centres d’observation psychiatrique afin de « trier » les détenus atteints de troubles mentaux.

 

Cependant, peu à peu, on assiste à un glissement du désir d’amendement à la gestion des flux pénitentiaires. Les affectations se font en fonction de la probable adaptation des détenus à tel ou tel établissement, et le « tourisme pénitentiaire » se développe : les établissements se renvoient les uns aux autres les « mauvais » détenus, et certains se retrouvent dans « ce qu’on appelle parfois ouvertement, bien que jamais répertoriées sous cette nomination, des centrales ordinaires de grande sécurité. » (Claude Faugeron, « De la Libération à la guerre d’Algérie », dans Histoire des galères, bagnes et prisons, Toulouse, 1991

 

XII. Assistance est donnée aux prisonniers pendant et après la peine en vue de faciliter leur reclassement.

 

En 1946, sont institués les Comités départementaux d’assistance et de placement des libérés (CDAPL).

 

XIII. Tout agent du personnel pénitentiaire doit avoir suivi les cours d’une école technique spécialisée.

 

  • Les personnels

  • Une école est ouverte en 1945 à Fresnes afin de procéder dans un premier temps à la formation des personnels destinées aux maisons centrales réformées et aux sous-directeurs et surveillants-chefs des établissements non réformés chargés de léguer leurs enseignements aux autres personnels.

  • Des services sociaux sont mis en place au sein des prisons par la circulaire du 29 juin 1945, et Jeanne Hurtevant est la première assistante sociale à travailler à la prison de Fresnes.

Principes formulés en mai 1945 par la commission de réforme des institutions pénitentiaires françaises

 

I. La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné.

 

II. Son exécution est organisée dans la métropole ou en Algérie à l’égard de tous les individus condamnés par les juridictions du continent, de la Corse ou de l’Algérie, pour des infractions de droit commun.

 

III. Le traitement infligé au prisonnier, hors de toute promiscuité corruptive, doit être humain, exempt de vexations, et tendre principalement à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration.

 

IV. Tout condamné de droit commun est astreint au travail et bénéficie d’une protection légale pour les accidents survenus pendant son travail. Aucun ne peut être contraint à rester inoccupé.

 

V. L’emprisonnement préventif est subi dans l’isolement de jour et de nuit.

 

VI. Il en est de même en principe de l’emprisonnement pénal jusqu’à un an.

 

VII. La répartition dans les établissements pénitentiaires des individus comparés à une peine supérieure à un an a pour base le sexe, la personnalité et le degré de perversion du délinquant.

 

VIII. Un régime progressif est appliqué dans chacun de ces établissements en vue d’adapter le traitement du prisonnier à son attitude et à son degré d’amendement. Ce régime va de l’encellulement à la semi-liberté.

 

IX. Dans tout établissement pénitentiaire où sont purgés des peines de droit commun privatives de liberté d’une durée supérieure à un an, un magistrat exclusivement chargé de l’exécution des peines aura seul compétence pour ordonner le transfert du condamné dans un établissement d’un autre type, pour prononcer l’admission aux étapes successives du régime progressif, et pour rapporter les demandes de libération conditionnelle auprès du comité institué par le décret du 16 février 1888.

 

X. Dans tout établissement pénitentiaire fonctionne un service social et médico-psychologique.

 

XI. Le bénéfice de la libération conditionnelle est étendu à toutes les peines temporaires.

 

XII. Assistance est donnée aux prisonniers pendant et après la peine en vue de faciliter leur reclassement.

 

XIII. Tout agent du personnel pénitentiaire doit avoir suivi les cours d’une école technique spéciale.

 

XIV. Il pourrait être substitué à la relégation un internement de sûreté en colonie pénale. Cet internement serait en principe perpétuel. Toutefois, le relégué pourrait bénéficier de la libération d’épreuve.

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1946 -1947 – La Réforme Pénitentiaire – L’Ecole et le Centre d’Etudes Pénitentiaires

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

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A la Libération, une commission de réforme des institutions pénitentiaires est instituée; elle est présidée par Paul AMOR[1]. Au mois de mai 1945, cette commission formule les quatorze principes qui allaient guider désormais l’action de l’Administration pénitentiaire. Le point treize de ces principes préconise « que tout agent du personnel pénitentiaire doit avoir suivi les cours d’une école technique spéciale ». C’est au mois d’octobre qu’est créée aux prisons de Fresnes la troisième école pénitentiaire.

Le contexte général de l’Institution pénitentiaire au sortir à la Libération de la France.

Le 30 septembre 1944, P. AMOR est nommé Directeur général des services pénitentiaires du ministère de la Justice. Il prend la direction d’une administration confrontée à des problèmes graves : un parc immobilier ancien, insalubre et mal entretenu avec un effectif de la population pénale qui va de cesse augmenter (67 200 détenus en mars 1946, dont 29 401 dépendants des cours de justice). Ajoutons à cela la lutte contre la faim et les maladies associées, notamment la tuberculose et le typhus dans les prisons. La question sanitaire est donc un axe prioritaire pour la nouvelle administration qui se met en place.

Quant au contexte politique, il est compliqué par l’épuration. Les responsables d’établissements pénitentiaires doivent parfois gérer le quotidien avec des comités de libération qui s’attribuent des pouvoirs de police et de justice, une autorité préfectorale en restructuration et une autorité judiciaire sensiblement désorganisée.

Pourtant, c’est dans ce contexte politico-administratif que le 9 décembre 1944, un arrêté crée une commission « chargée d’étudier, d’élaborer et de soumettre au garde des Sceaux les réformes relatives à l’Administration pénitentiaire ».

Quatorze principes fondateurs de la Réforme sont formulés en mai 1945 par la commission de réforme des Institutions Pénitentiaires Françaises dont le premier principe mérite à lui seul beaucoup d’attention « La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du détenu ».
Les personnels pénitentiaires à la Libération de la France.

Il est judicieux de rappeler que jusqu’à 1939, les personnels pénitentiaires appartenant au personnel de surveillance sont majoritairement des anciens militaires. La guerre venue, en raison du nombre important de prisonniers, une crise aggravée de recrutement endémique du corps des surveillants conduit à un renouvellement du corps, d’abord par un cadre complémentaire de retraités requis en septembre 1939 pour remplacer les agents mobilisés, ensuite par un recours massif à l’auxiliariat pour enrayer la montée de l’effectif pénal. L’effectif est passé entre 1938 et 1947 de 3 363 à 8 461 agents soit 37 % de l’effectif.

« Il s’agit donc d’un personnel beaucoup plus jeune que celui en poste avant la guerre, peu familiarisé avec le travail dans la prison et, d’origine civile. Par ailleurs, outre des conditions de travail dans des camps de détentions surpeuplés, leurs conditions de vie et de logement sont extrêmement précaires : souvent des baraquements ou des bâtiments sans hygiène, à l’intérieur des détentions qui ne permettent pas de réunir les familles. La formation inexistante et la faiblesse de l’encadrement ne peuvent être compensées que par une rigueur disciplinaire accrue. Il faut aussi s’appuyer sur les éléments les plus sûrs : les gradés, presque tous issus de l’ancien personnel d’avant – guerre, placés entre un personnel de base inexpérimenté et fluctuant et un personnel de direction assez profondément renouvelé et dont certains ne connaissent pas la détention ».[2]


Le dispositif de formation des personnels pénitentiaires de l’après guerre.

En 1945, Paul AMOR, directeur de l’Administration pénitentiaire, est conscient des lacunes de son personnel. S’il reconnaît qu’il existe des éléments compétents et volontaires, il indique clairement que la plupart sont inaptes au changement.

Le nombre élevé des agents – environ 10 000 – ne lui permet pas de mettre en place une école où chaque corps pourrait venir suivre une instruction initiale.

En conséquence, il décide d’adopter un système de formation hiérarchisée avec le Centre d’études pénitentiaires de Fresnes. D’autre part, une Ecole pénitentiaire est également créée à Fresnes pour les agents nommés dans les établissements réformés (qui appliquent le régime progressif).

Une circulaire du 27 juin 1946[3] annonce l’ouverture aux prisons de Fresnes d’un Centre d’études pénitentiaires destiné « à compléter la formation des fonctionnaires qui seront ultérieurement chargés d’instruire les agents placés sous leurs ordres et à leur permettre d’enseigner à leur tour ». P. CANNAT[4] est l’animateur de ce centre d’études qui reçoit en 1946 et en 1947 en deux promotions, tous les sous-directeurs. (L’ensemble de ces cours fait l’objet en 1949, d’une publication par l’imprimerie administrative de Melun). La formation s’adresse aussi aux surveillants-chefs.

Le Centre d’études ouvre ses portes le 1er octobre 1946. La durée des cours est de quatre semaines. Détaillons le programme dans son ensemble :

- Informer le personnel des nouveaux objectifs de l’Administration et des méthodes qu’elle entend appliquer.

- Rafraîchir et enrichir les connaissances techniques. Des professeurs bénévoles y enseignent la science pénitentiaire, le droit pénal. Des cours d’hygiène, de sociologie et de psychologie appliquée sont également au programme.

- Enfin, et c’est là un des points les plus importants, retransmettre les connaissances acquises aux agents placés sous leur ordres dans les établissements pénitentiaires. En effet, bien que Paul AMOR exprime son désir irréalisable d’instituer une école pour l’ensemble du personnel, il souhaite, pour le moment, réaliser la formation du personnel de base par la hiérarchie.

Une circulaire du 28 octobre 1946 indique quelles sont les procédures à suivre pour répercuter les connaissances. Les cadres, dès leur retour du Centre d’études pénitentiaires devront dispenser un enseignement hebdomadaire d’une heure à tous les surveillants auxiliaires, stagiaires ou titulaires. Cette session sera déduite du temps réglementaire du service.

La leçon comportera :

- L’enseignement proprement dit (le cadre aura bénéficié de cours de pédagogie lors de sa formation).

- Des interrogations orales portant sur les leçons précédentes.

Un registre sera tenu où seront mentionnés les jours et heures de cours, l’assiduité des surveillants ainsi que les notes obtenues.

D’autres circulaires des 23 décembre 1946[5], 20 janvier 1947, 14 novembre 1947, et 9 décembre 1947[6]compléteront ce dispositif. Les différents éléments de formation : école pénitentiaire pour la formation initiale, centre d’études pour la formation des formateurs, cours sur place intégrés au service pour le perfectionnement, constituent déjà un ensemble harmonieux, en avance sur la législation de la formation continue dans la fonction publique dont les textes d’application ne seront mis au point qu’en 1973.

En 1946-1947, l’Administration pénitentiaire française donne l’exemple. En effet, ce ne fut qu’en 1957 que le Conseil économique et social des Nations Unies adoptait dans sa séance du 31 juillet, une résolution dont le point 47 précisait que : « Le personnel pénitentiaire doit suivre avant d’être en service un cours de formation générale et spéciale et satisfaire à des épreuves d’ordre théorique et pratique. Après son entrée en service, et au cours de sa carrière, il doit maintenir et améliorer ses connaissances et sa capacité professionnelle en suivant des cours de perfectionnement organisés périodiquement ». Cette recommandation fut reprise dans les « Règles minima » pour le traitement des détenus diffusées par l’O.N.U. en 1958. Elle fut également reprise par l’article D.216 du Code de procédure pénale qui dans sa rédaction originale de 1958, prévoyait que « le personnel pénitentiaire est tenu de parfaire ses connaissances professionnelles dans les conditions fixées par l’Administration centrale. Il a l’obligation de suivre les cours et stages de formations assurés soit à l’Ecole pénitentiaire, soit par tout autre organisme habilité. »

L’école pénitentiaire de Fresnes a fonctionné normalement du 1er octobre 1946 à 1960 et est réservée à la formation des surveillants et des éducateurs destinés à entrer en fonction dans les établissements réformés.

Les éducateurs :

Les éducateurs constituent une nouveauté dans l’Administration pénitentiaire. Ils ont pour mission, selon P. AMOR, d’organiser des cours d’enseignement scolaire, des conférences éducatives morales ou sociales, propres à faire naître et à développer l’amendement du détenu. Leur rôle est avant tout d’observer le détenu, de suivre et noter son évolution, afin de pouvoir rendre compte, lors des réunions de la commission de classement qui décide de l’admission aux différentes phases du régime progressif.[7]


Au départ, ces agents n’avaient pas de titre et étaient rémunérés comme de simples surveillants. L’inspecteur général de l’Administration pénitentiaire, R. PETIT, estimait en 1950 que cette anomalie rendait le recrutement difficile et que la valeur des individus était sensiblement inférieure à ce qu’on attendait d’eux.

C’est en 1949, par décret du 21 juillet, que fut fixé le statut des éducateurs. Le problème de l’écart des salaires avec le corps de surveillance ne fut cependant pas réglé. Les premières nominations intervinrent le 31 décembre 1949.

Les éducateurs étaient au nombre de 66 au 1er janvier 1956 alors que R. PETIT estimait en 1950 les besoins à 250 agents pour les années à venir. Un décret du 3 mars 1952 relève le niveau de recrutement du concours. Alors que jusque-là, il fallait être titulaire du brevet élémentaire pour concourir, il faudra dorénavant posséder le baccalauréat ou un diplôme équivalent.

L’Ecole pénitentiaire de Fresnes a formé 1 867 fonctionnaires dont 1 671 surveillants, 128 gradés du personnel de surveillance, 169 éducateurs, 9 agents du personnel administratif. En général, il y a trois sessions d’un trimestre par an, pour un maximum de 60 places. Les agents formés devront mettre en œuvre les nouvelles méthodes d’observation et de traitement dans les établissements réformés. L’école est dirigée par Madame MARIANI (qui a profondément marqué tous ses élèves).

Par contre, le Centre d’études pénitentiaires connaît des vicissitudes diverses jusqu’en 1960, date de son transfert à Paris au 56, boulevard Raspail. Il se spécialise alors dans la formation des éducateurs.

Les événements d’Algérie comme les deux guerres mondiales rejettent à nouveau les problèmes de formation à l’arrière plan. L’Ecole pénitentiaire et le Centre d’études cessent de fonctionner en 1962, après seize ans d’existence…

Sources :


- G. PETIT, N. CASTAN, Cl. FAUGERON, M. PIERRE, A. ZYSBERG, Histoire des Galères, Bagnes et Prisons, Editions Privat, Toulouse,1991.

- L. PERREAU, La Réforme Amor, Mémoire d’élève-directeur, 20e promotion Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire, 1991.

- Code des Prisons XXXII pages 231 et 260.

- Code des Prisons XXXIII pages 22, 198 et 211.

Bibliographie sélective :

- M. BELLON, Le Système progressif, idée ponctuelle ou étape de réflexion, Mémoire de l’ENAP, Fleury-Mérogis, 1982.

- P. CANNAT, La Réforme Pénitentiaire, cours enseigné au centre d’Etude de Fresnes, Imprimerie Administrative de Melun, 1949.

- P. CANNAT, Les éducateurs de l’Administration pénitentiaire, Revue Internationale de droit pénal, 1950.

- C. CARLIER, Histoire du personnel des prisons françaises du XVIIIe siècle à nos jours, Les Editions de l’Atelier, Paris, 1997.

- C. CURIE, Les éducateurs des services extérieurs pénitentiaires de 1946 à 1958, certificat d’aptitude aux fonctions de conseiller d’insertion et de probation, 9ème promotion, Ministère de la Justice, Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire, 2005.

Imprimé Code Pénitentiaire, Melun, 1946 – 1958 :

- J. VOULET, Le statut et la formation du personnel pénitentiaire en France, Revue internationale de Politique Criminelle, juillet 1954, annexé au Rapport général sur l’exercice 1954.

 

 


 

[1] P. AMOR est nommé le 30 septembre 1944, directeur de l’Administration Pénitentiaire.- Se référer au dossier interne Paul Amor et la Réforme, dernière actualisation 2 et 3 novembre 2005, Philippe POISSON.

[2] J.G. PETIT, N. CASTAN, C. FAUGERON, M. PIERRE, A. ZYSBERG, Histoire des Galères, Bagnes et Prisons, XIIIe - XXe siècles, Introduction à l’Histoire pénale de France, préface de Michelle PERROT, Editions Privat, Toulouse, 1991, p.308.

[3] Code des Prisons, tome XXX1, page 154.

[4] P. CANNAT, magistrat. Son intérêt pour les questions pénitentiaires est déjà chose ancienne. Des les années 1930, il se préoccupe des problèmes posés par la relégation des délinquants récidivistes. Il rédige d’ailleurs sa thèse de doctorat sur ce sujet, qui est essentiellement une critique des conditions d’application de la loi de 1885 sur la relégation… Sous l’Occupation allemande, il se fait visiteur des prisons de l’œuvre de Saint-Vincent-de-Paul. Pendant deux ans (de 1941 à 1943), il se « promène » dans la prison de Fresnes… P. CANNAT a fourni incontestablement le cadre de référence dans lequel se développa la réforme pénitentiaire.

[5] Code des Prisons, tome XXXII, pages 231, 276.

6] Code des prisons, tome XXXIII, pages 22, 198, 211.

[7] M. BELLON, Le Système progressif, idée ponctuelle ou étape de réflexion, mémoire de l’ENAP, Fleury-Mérogis, 1982.

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Evolution historique du système des parloirs dans les établissements pénitentiaires

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

Evolution historique du système des parloirs dans les établissements pénitentiaires dans Aspects caractéristiques de la prison pdf evolutionhistoriquedusystmedesparloirsdanslestab.pdf

Evolution historique du système des parloirs dans les établissements pénitentiaires

 

Sous l’Ancien Régime, les prisonniers peuvent bénéficier des visites de leurs proches. Ces dernières sont rarement réglementées dans les prisons seigneuriales et des villes. Parfois elles y sont même encouragées. La visite des proches étant une opportunité pour le prisonnier de se voir attribuer des subsistances sans lesquelles il n’aurait pu survivre.

Des scènes de visites familiales sont reproduites sur des tableaux de la Révolution de 1789, et sont significatives : les détenus et leurs proches se retrouvent pour festoyer dans les divers endroits de la prison : cours de promenade, cellules, loges du concierge ou du geôlier.

Dans les prisons d’Etat paradoxalement, l’institution du lieutenant général de police, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, entraîne la mise en place d’un contrôle exigeant en matière de discipline des prisons, et en particulier de l’organisation des visites. Le modèle disciplinaire des prisons de l’Etat est appliqué à l’ensemble des prisons parisiennes au début du XVIIIe siècle, puis aux maisons centrales mises en service à partir du Premier Empire. Le règlement de 1822 concernant les parloirs prévoit un lieu spécifique pour le déroulement de celui-ci, tandis que les autorisations de visites sont décernées exclusivement par le directeur ou son adjoint. Une ébauche d’horaires est même esquissée à cette occasion.

Concernant les prisons départementales, le parloir s’organise notamment par le Règlement général du 30 octobre 1841, lequel entend mettre fin « aux prétendues orgies » qui ont lieu jusqu’à là. Le maire est chargé de délivrer les permis de visite.

Le même règlement de 1841 reprend l’essentiel des dispositions adoptées en 1822 pour les maisons centrales :

- lieu déterminé, sous le contrôle des gardiens ;

- durée et horaires des visites déterminées par un règlement particulier.

le parloir n’évolue plus guère par la suite, en ce qui touche à ses grands traits d’organisation :

- lieu déterminé ;

- surveillance des gardiens ;

- horaires stricts ;

- permis de visite délivrés par une autorité administrative (le juge d’instruction n’étant consulté pour les prévenus qu’à partir de 1866).

Sous la Troisième République, le parloir à double grillage se généralise dans les établissements pénitentiaires, ceci afin de prévenir les évasions, dans les maisons centrales à partir de 1872, dans les maisons d’arrêt cellulaires après 1877.

La seule véritable innovation intervenue entre cette date et les années 1970 consiste dans la substitution, au cours des années 1960, de la vitre « hygiaphone » à la double grille.

Postérieurement deux réformes essentielles interviennent :

- celle de 1975, qui prévoit le parloir sans dispositif de séparation dans les centres de détention ;

- la réforme réalisée par le décret du 26 janvier 1983, qui généralise cette mesure à l’ensemble des établissements pénitentiaires.

 

 

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Les cantines des prisons

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

Les cantines des prisons

(Quelques extraits de l’article « Vivre avec son temps : Les cantines des prisons)

Monique SEYLER

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« La cantine est, dans la prison, le « surplus[1] » que les détenus sont autorisés à se procurer, sur leur argent propre, par l’intermédiaire de l’administration et qui leur permet d’améliorer le régime ordinaire.

Ce surplus a longtemps été la pièce maîtresse du système de subsistance des détenus. Aujourd’hui, ils mangent à leur faim et la cantine est utilisée pour rendre psychologiquement supportable la quotidienneté carcérale, dans un environnement sociétal – niveau de vie, mentalités, mœurs – qui accroît, par contraste, la rigueur de l’enfermement. Il s’agit d’éviter l’explosion. Au demeurant, c’est au cours des révoltes du début des années 1970 qu’a commencé d’apparaître l’emploi actuellement dévolu au surplus.

 

 

 

Les années de violence et la résistible ascension des cantines.

 

 

A partir de 1971 – et quatre années durant – les prisons françaises furent secouées par une crise d’une extrême violence : prises de personnels en otage, mutineries dépassant, par leur nombre et leur gravité, l’ampleur de ce qui est habituellement toléré par l’institution[2] et, enfin, révoltes généralisées à la totalité des établissements pénitentiaires de l’été 1974. Au bilan : 11 morts.

 

 

Au-delà des événements qui ont, ponctuellement, déclenché les révoltes – tels que la suppression des colis de Noël en 1971 – et des circonstances favorisantes, comme la présence de personnels particulièrement rigides, retour d’Afrique du Nord, la politisation de certains éléments de la population pénale par les leaders emprisonnés de mai 1968, ou encore la disproportion entre le nombre de surveillants et celui de la population pénale[3], les autorités concernées estimèrent que ce qui était fondamentalement en cause, c’était l’archaïsme généralisé de la prison qui imposait aux populations entrantes des modes de vie trop éloignées de ceux de la société libre pour qu’elles puissent les supporter. En 1970, on servait encore de la soupe à midi, en plein mois d’août. Habit de droguet, sans forme et sans couleur, cheveux courts, les détenus étaient mis, dans leur aspect physique, hors du temps. Au reste, ils n’étaient pas autorisés à posséder une montre : le temps auquel ils étaient soumis était celui de l’institution, rythmé par son seul fonctionnement.

 

 

Ni journaux, ni radio, ni télévision. Peu de courriers (une lettre d’une page par semaine) et guère de visites, limitées, en outre, à la seule famille légale. Le monde extérieur était maintenu à distance, pour être inoffensif. Enfin la cantine n’était que chichement approvisionnée : ainsi les cigarettes y étaient-elles vendues à l’unité, le choix limité aux deux marques les plus ordinaires, et seuls les détenus qui avaient obtenu des « galons de bonne conduite[4] » étaient autorisées à en acheter.

 

 

La réponse institutionnelle aux mutineries se fit donc en termes de modernisation. S’agissant du régime d’exécution des peines, création en 1972, d’une permission de sortir « pour maintien des liens familiaux » et de la réduction de peine pour bonne conduite. Et, concernant la quotidienneté matérielle, une fois effectuée la mise à niveau avec les habitudes alimentaires extérieures, le chauffage installé dans toutes les prisons, et les dernières « cages à poules[5] » supprimées, l’essentiel de l’aggiornamento fut, pour cause de manque de crédits, confié à la cantine.

 

 

Les années passant, les possibilités d’achat consenties aux détenus s’élargissent, à la fois réponse d’un personnel, resté sous le traumatisme des événements de 1971-1974, aux pressions des détenus – conscients, eux, de leur pouvoir, et de ce qu’ils en avaient obtenu – et moyen utilisé par l’institution pour faire accepter l’aggravation de la condition pénitentiaire, induite d’abord par le durcissement de la politique pénale, en 1978 ( création de la période de sûreté) et, ensuite, par la surpopulation.

 

 

La réforme de 1975 – qui clôt les années de violence – cède une dernière fois sur le régime d’exécution des peines. Elle instaure deux nouvelles réductions de peine : « pour réussite à un examen » et « pour gages exceptionnels de réinsertion sociale », cette dernière réservée aux seuls condamnés à des peines supérieures à 3 ans. Et elle élargit les conditions d’octroi des permissions de sortir – en même temps qu’elle allonge leur durée – pour les condamnés des centres de détention. Ces ultimes concessions, faites, la cantine a constitué, à l’évidence, l’élément de la quotidienneté carcérale sur lequel l’institution a estimé pouvoir céder sans remettre en cause la rigueur de la peine. Outre qu’il ne lui coûtait guère… »

 

 

Sources :

 

 

- SEYLER, Vivre avec son temps : les cantines des prisons, Déviances et Société, 1988, Vol. 12, N° 2, pp. 127-145.

 

 

- Crédit photographique : Ministère de la Justice / Musée National des Prisons.

 

 

www.prison.eu.org

 

 

 

 


 

 

[1] C’est ainsi qu’est désigné, dans le Code Pénal de 1791, qui crée la peine d’emprisonnement, ce que les détenus peuvent se procurer pour améliorer l’ordinaire.

 

[2] Il y a, dans le rapport d’activité publié annuellement par l’Administration Pénitentiaire, une rubrique « incidents collectifs » qui recense les révoltes sans gravité qui sont monnaie courante dans la prison.

 

[3] L’institution pénitentiaire connaissait, depuis 1971, des difficultés de recrutement des personnels de surveillance, qui allaient s’aggravant. On peut lire, dans le rapport annuel de l’Administration Pénitentiaire de 1973, p. 295 : « Les conséquences d’une telle situation sont particulièrement inquiétantes et risquent d’entraîner une désorganisation des services et de mettre en cause la sécurité des établissements ».

 

[4] Les fameux prévôts.

 

[5] On appelait ainsi des « cases à lits » juxtaposées, séparées les unes des autres par une partie inférieure pleine et une partie supérieure grillagée. Ces « cases à lits » avaient tout juste cent ans d’existence ! Elles avaient été inaugurées en 1874 à la maison centrale de Poissy.

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Historique de la Formation des Personnels Pénitentiaires.(1)

Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008

Historique de la Formation des Personnels Pénitentiaires.(1) dans Formation des Personnels pénitentiaires pdf historiquedelaformation.

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La prison de la Santé est le berceau de la première école nationale

« Pendant longtemps, les agents travaillant dans les prisons françaises n’ont bénéficié d’aucune formation sinon « sur le tas ». Cohabitaient dans les prisons, rappelons-le, quatre catégories de personnel : le personnel de direction (directeurs et inspecteurs, contrôleurs et sous-directeurs, la terminologie a varié au cours du XIXe siècle), le personnel administratif (économes, greffiers comptables, commis et teneurs de livres), le personnel spécial (médecins, chirurgiens, apothicaires, aumôniers et architectes) et le personnel de garde (gardiens-chefs, premiers gardiens et gardiens). Ces quatre catégories de personnel ne se rencontraient que dans les maisons centrales et dans les institutions pour mineurs. Dans les prisons départementales (près de quatre cent pendant tout le XIXe siècle), n’était en poste le plus souvent qu’un personnel de garde composé d’un gardien-chef, de sa femme occupée au quartier des femmes et d’un ou deux gardiens.

 

 

La Monarchie de juillet et l’Empire autoritaire avaient créé les bases réglementaires et institutionnelles grâce auxquelles l’Administration pénitentiaire avait pu se structurer et se doter des moyens et des instruments indispensables à sa politique (le premier volume de la Statistique pénitentiaire paraît en 1854, les circonscriptions départementales sont créées en 1856, la « Pénitentiaire » est dotée d’une direction en 1858), la centralisation permettant de gommer et de transcender de forts particularismes locaux. L’Empire libéral commença à mettre en œuvre des réformes importantes visant tant au traitement différencié des prisonniers (création de quartiers de préservation et d’amendement, développement des travaux extérieurs, mise en place d’une « commission pour l’examen des diverses questions relatives au patronage ») qu’à l’amélioration du service rendu par les agents. L’intérêt pour la formation des gardiens se manifeste à partir des dernières années du Second Empire d’autant que les rapports des autorités insistent, en de longues litanies, sur les insupportables carences dans le recrutement et la formation des gardiens, au point que nombreux étaient les responsables qui songeaient à les remplacer (par des frères ou des « éducateurs » laïcs). »[1]

 

 

Un des problèmes auquel l’Administration a dû faire face est donc l’éducation du gardien et son comportement vis à vis du détenu. La circulaire du 10 décembre 1857 précise bien cette situation, « A des conditions de force physique qui imposent à des condamnés enclins à la violence, et qui réclament un service de jour et de nuit, ces agents doivent joindre certaines qualités d’intelligence et d’éducation » (code des prisons – circulaire du 10 décembre 1857) – Les directeurs, à qui appartient la présentation des postulants, s’assurent de leur aptitude par un examen qui consiste en une dictée et quelques simples opérations d’arithmétique élémentaire…

 

 

Dans quelques maisons centrales dont Melun, certains directeurs organisent des écoles de gardiens avec l’aide de l’inspecteur et de l’instituteur. Le ministre souhaite vivement que cette expérience soit étendue à toutes les centrales.

L’Inspecteur Général Lalou va dans le même sens lorsqu’il dit: « La création d’une école professionnelle dans les maisons centrales, école dans laquelle, tout en complétant l’instruction primaire des gardiens, on tâchera de les former de manière à ce qu ‘ils soient capables d’exercer une influence morale sur les détenus ».

 

 

Les initiatives sont laissées à l’appréciation des directeurs, Melun a la sienne le 20 juillet 1874, mais elle est malheureusement supprimée en août 1878 sans que l’on en connaisse vraiment la cause.

Il semble que le directeur soit la première personne à limiter l’action de l’école. Les cours doivent s’effectuer durant le service des gardiens. En raison du faible effectif, il s’avère quasiment impossible de libérer ces derniers trois fois par semaine. De plus, n’étant pas obligatoire, l’école attire assez peu de candidatures. L’instituteur étant pris par ses classes de détenus et ses travaux administratifs, se trouve peu disponible pour les gardiens qui ne sont pas soutenus par l’Administration… Elle est réactivée en 1889…

 

 

Suite aux recommandations des congrès pénitentiaires internationaux de Londres et de Stockholm, l’Administration Pénitentiaire va mettre en place des écoles de gardiens.

 

Dans la circulaire d’ensemble du ministère de l’Intérieur en date du 20 mars 1869[2], vaste texte de 23 pages, on voit apparaître pour la première fois l’idée d’une école de « gardiens ». Elle est traitée en 15 lignes, à l’occasion de la nécessité du développement de l’expression écrite des agents de la surveillance « qui sont appelés très fréquemment à constater par écrit les divers faits dont ils sont témoins pendant leur service et notamment les infractions disciplinaires commises par les détenus».Curieusement, ce problème de la communication sera repris dans une brochure éditée en 1967 par le Comité Européen pour les Problèmes Criminels,[3] précisant « qu’il est manifestement indispensable que le personnel de surveillance possède et perfectionne la capacité de noter et de transmettre tous les détails importants sur la conduite des détenus ».

 

 

Quelques directeurs de maisons centrales ont cru devoir faire appel au concours de l’instituteur et de l’inspecteur pour organiser une école de gardiens. Les circulaires d’ensemble des 20 mars 1873[4] et 20 mars 1876[5] consacrent également quelques lignes aux écoles de gardiens. Le premier texte insiste sur la nécessité de développer l’instruction primaire des gardiens. II déplore déjà que :

« Les exigences du service ne permettent pas toujours à ces agents de consacrer beaucoup de temps à l’étude », et annonce que « des récompenses seront accordées aux agents chez lesquels il sera constaté de sensibles progrès. Ils pourront obtenir, soit une gratification, soit un avancement exceptionnel, sinon leur inscription sur la liste des candidats à l’emploi de gardien-chef ».

 

La circulaire de 1876 concrétise ces promesses et présente le tableau d’honneur des récompenses : « des ouvrages d’une certaine valeur ont été accordés » à deux enseignants, douze autres ont reçu des gratifications et 46 agents de 13 établissements ont obtenu des livres d’honneur, en raison de « leurs progrès à l’école élémentaire ». Bien plus, cette circulaire généreuse prévoit qu’en vue d’encourager davantage les gardiens à profiter des facilités qui leur sont données pour s’instruire, il a paru qu’il y avait lieu de les exonérer des frais d’achat des livres élémentaires et des fournitures de papier, plume, encre, crayon. Cette dépense restera à la charge de l’Etat.

 

Les écoles de gardiens tombèrent très vite en désuétude, faute d’un personnel suffisant. En 1873, pourtant, des récompenses avaient été instituées « pour les agents ayant fait des progrès » ; en 1875, les élèves avaient été exonérés « des frais d’achat des livres élémentaires et des fournitures de papier, plumes, encre, crayons, etc. » Dans la réalité, alors que certaines écoles eurent tôt fait de fermer leurs portes, soit faute d’enseignants (les instituteurs, avec les lois Ferry, durent se consacrer exclusivement à l’éducation des détenus), soit que « des motifs de service en aient entravé la marche », la plupart ne fonctionnèrent que de manière intermittente. Beaucoup de directeurs profitèrent du fait que l’enseignement n’y était pas obligatoire pour supprimer des écoles qui « ne furent jamais que très peu professionnelles ». Elles servirent principalement à l’alphabétisation de certains gardiens.

 

 

L’idée de la formation est donc lancée, déjà en 1892, la Société Générale des Prisons consacre une séance aux « Ecoles de gardiens » dans le bulletin de la Société Générale des Prisons (1892)[6]

 

Le rapporteur du budget 1892-1893 préconise le projet d’une école de gardiens à Paris, car de 1876 à 1892 les écoles de gardiens locales ont « eu des destinées variables ».

 

 

Par exemple, en 1891, une école de gardiens est mise en place à la prison de la Santé : comme à Melun, c’est le personnel supérieur qui donne les cours, mais ceux-ci sont destinés cette fois aux gardiens des autres prisons (logés dans vingt cellules) en vue de les préparer aux fonctions de gardien-chef. Par la suite, logés toujours à la Santé, les gardiens vont suivre leurs cours au Dépôt. De cette formation, pourtant élémentaire ( Melun où l’on alphabétise ) ou pratique ( la Santé où l’on inculque des rudiments de technique plus que de science pénitentiaire), les « grands esprits » de la Revue pénitentiaire se méfient : « Je serais désolé de voir introduire dans notre pays des sortes d’académies pénitentiaires où nos surveillants seraient bourrés d’une théorie indigeste et inutile, à la sortie desquelles ils trouveraient indigne de leur science de monter la garde à 1 200 francs par an dans nos établissements pénitentiaires ». L’Ecole de la Santé n’accueille pourtant qu’une douzaine, puis une vingtaine d’élèves. Mais des écoles de gardiens commencent à se créer dans toutes les grandes prisons, qui forment cette fois à titre initial les gardiens nouvellement recrutés : la soif d’éducation est irrépressible, toutes les nouvelles recrues sont volontaires pour acquérir une formation distillée pourtant par des gens de peu de compétences, sous la forme d’un rabâchage du b.a-b.a de la pratique pénitentiaire et des articles du Code d’instruction criminelle. A Fresnes, l’école de gardiens comprend de dix à quinze élèves, qui aspirent (vainement) aux emplois de gardien-chef et de gardien commis greffier. Pour ce faire, il leur faudrait parfaire leur formation initiale à l’école du Dépôt, (transformée en Ecole supérieure depuis le 16 octobre 1893).

Dès 1892, le rapporteur du budget spécial de l’administration pénitentiaire à la Chambre des députés avait émis l’idée que fût créée à Paris une « école de gardiens ». Avec la loi du 14 août 1885, les gardiens étaient tenus de rédiger un bulletin de « constatation journalière de la conduite et du travail » de tous les prisonniers. En 1888, le Conseil supérieur des prisons, relayé par le Comité des inspecteurs généraux, avait appelé de ses vœux la formation améliorée des gardiens dans ce but. La loi de finances du 29 avril 1893 avait retenu le principe de cette création et prévu un budget de 18 000 F. Une Commission fut donc instituée « en vue d’élaborer un projet d’organisation d’une école de gardiens, » elle avait pour objectif de répondre à un certain nombre de besoins nouveaux : développement des régies, face à la crise du système de l’entreprise générale, essor surtout de l’anthropométrie d’où la présence de Bertillon au sein de la Commission. L’Administration pénitentiaire avait besoin d’agents de plus en plus qualifiés, qu’elle n’avait pas les moyens de recruter en dehors de ses rangs.

 

 

La commission Duflos[7] instituée par arrêté du 29 juin 1893[8] a pour objet d’élaborer un projet d’organisation d’une école de gardiens appelés à recevoir dans les services pénitentiaires un enseignement théorique et pratique, et commente dans son remarquable rapport du 2 août 1893, les causes de la disparition progressive des écoles locales de gardiens, en particulier, le caractère non obligatoire de leur existence : « Comment des chefs d’établissements ne se seraient-ils pas rencontrés ? Qui, non tenus d’ouvrir ou de maintenir une école de gardiens, s’abstinssent d’en établir ou laissassent se péricliter celle qui pouvait exister dans leur maison, pour peu qu’ils n’en fussent pas personnellement partisans, ou qu’il fallût vaincre quelque résistance, ou que l’institution parût être une gêne pour la libre disposition des agents appelés à en bénéficier ? ». La commission de 1893 prenant le contre-pied de la proposition du rapporteur du budget sur la création d’une école unique à Paris, recommande l’institution d’une trentaine d’écoles élémentaires de gardiens et d’une Ecole Pénitentiaire Supérieure. On trouve déjà là le schéma d’un dispositif de formation décentralisée qui sera redécouvert en 1976 par le groupe de travail pénitentiaire animé par l’Agence pour le Développement de l’Education Permanente (A.D.E.P.).

 

Deux arrêtés du président du Conseil, ministre de l’Intérieur en date du 19 août 1893 créent, d’une part, une Ecole Elémentaire de gardiens dans chaque maison centrale, chaque pénitencier agricole et dans les prisons de grand effectif, d’autre part une Ecole Pénitentiaire Supérieure à Paris, à la prison de la Santé. La première école pénitentiaire nationale sera organisée en 1893.

 

La prison de la Santé est donc le berceau de cette première école nationale. Elle a pour but de servir de cours complémentaire aux meilleurs élèves des écoles élémentaires de gardiens ou de compléter l’instruction des gardiens attachés à un établissement où n’aurait pas été ouverte une école élémentaire. Le cours complémentaire de six mois, à raison de six jours de classe par semaine et de quatre heures par jour pour un total de 600 heures. En outre, les élèves se rendent quatre heures par semaine au service anthropométrique dirigé par Alphonse Bertillon.[9]

 

Les chargés de cours sont désignés par arrêté et reçoivent une indemnité. « Les meilleurs des élèves sortis de l’Ecole Pénitentiaire Supérieure pourront être admis sur leur demande à subir l’examen réglementaire imposé à tous les candidats qui désirent entrer dans le personnel administratif. »

 

Le programme d’enseignement des écoles de gardiens est, quant à lui, établi pour une période d’une année, à raison de trois heures par semaine et à jours distincts, soit un total de 150 heures. « La journée du dimanche (une heure ou deux si possible) est consacrée à l’enseignement anthropométrique, à la manoeuvre des pompes à incendie et aux exercices militaires ». Modèle d’un enseignement fractionné sur les lieux de travail, assuré avec le concours de l’encadrement des établissements qui perçoit une indemnité pour cette tâche. La formation décentralisée est en marche.

 

Destinée aux gardiens issus des écoles élémentaires, mais accessible à tous par le biais d’une interrogation, l’Ecole Pénitentiaire Supérieure prépare les gardiens aux examens de commis, de gardien – chef ou de gardien commis greffier. La scolarité dure six mois, à raison de quatre heures de cours par jour, six jours par semaine. L’enseignement de l’anthropométrie (quatre heures par semaine) y est assuré par le docteur Alphonse Bertillon, créateur de l’anthropométrie judiciaire et chef du service de l’identification à la Préfecture de police. L’enseignement comporte également des leçons de français, d’arithmétique, de géographie, de comptabilité et d’économie de la prison.

 

Dans un premier temps, l’Ecole Pénitentiaire Supérieure et les écoles élémentaires ont d’excellents résultats.[10]

 

 

 

 

La circulaire du 22 octobre 1894[11] recommande une certaine coïncidence de période entre la tenue des cours à l’école supérieure et celles des écoles élémentaires de gardiens. Assez rapidement, les difficultés de mise en pratique commencent : dans les établissements où les heures de cours sont prises sur les heures de travail ou de loisirs des élèves, les nécessités immédiates du service prévalent très rapidement. Par ailleurs, à Paris, les méthodes révèlent rapidement des indécisions sur les objectifs de la formation : enseignement général ou pénénitentiaire.

Ces écoles élémentaires furent confrontées à beaucoup de difficultés : manque de personnel enseignant (manque aussi de compétence et de disponibilité des professeurs), problème d’horaires (les cours étaient prévus entre 1 h et 4 h de l’après-midi, après 8 h du soir ou le dimanche), manque de moyens financiers (la charge de ces écoles incombant à l’entrepreneur général). A plusieurs reprises, furent bien évoqués les expériences d’écoles normales, telles celles ouvertes en faveur des agents des colonies de Mettray ou d’Oullins dès la fin de la Monarchie de juillet, ou bien encore l’exemple belge de l’école de gardiens de Louvain, créée par l’inspecteur général Stevens (ancien directeur de la prison de Louvain) dans les années 1860, qui accueillait pour leur formation initiale tous les nouveaux gardiens avant leur affectation. Mais sans qu’aucune décision dans ce sens ne fût prise avant longtemps.

Il faut attendre le 21 février 1901 pour voir apparaître de nouvelles instructions[12] à l’occasion de l’envoi aux directeurs d’établissements d’une circulaire sur le recrutement des élèves de l’école supérieure et du volume « dictées choisies, recueil des extraits des études les plus connues sur les questions pénitentiaires, réunies pour seconder les efforts dans le sens de l’instruction morale des gardiens ». L’Administration centrale joue à l’époque le rôle d’un centre d’animation pédagogique.

 

Soutenue par Monsieur Duflos, directeur de l’Administration Pénitentiaire entre 1893 et 1901, l’Ecole Pénitentiaire pâtit de son départ. Son budget amputé, elle disparaît en 1903, alors que les écoles élémentaires de gardiens périclitent également.

 

En exemple, les députés rejettent le projet du gouvernement de créer dix emplois de gardiens dans les prisons de la Seine destinés, d’une part à compléter l’effectif de Fresnes, d’autre part, à remplacer les gardiens suivant une formation à l’Ecole Supérieure en 1899. La Revue pénitentiaire s’en attriste : « Ce projet a été rejeté, bien à tort. On sait en effet, combien le nombre de gardiens est réduit en France, et combien cela est déplorable, car le détenu se trouve ainsi partiellement sevré des influences salutaires qui devaient s’exercer sur lui. Le régime des prisons cellulaires doit être tout différent de celui des emmurés du Moyen Age »

 

En 1900, Cuche, professeur adjoint à la faculté de droit de Grenoble, dresse le constat accablant de la condition de gardien : « insuffisance lamentable », « nombre excessif d’heures de présence », « traitement dérisoire de 80 francs par mois, que leurs absorbantes fonctions ne permettent pas d’arrondir par de menus travaux pour les particuliers ». Cuche se réjouit cependant de l’existence de l’Ecole Supérieure Pénitentiaire, où les élèves effectuent dorénavant un stage de neuf mois (du 15 novembre au 15 juillet, suivant une circulaire du 10 février 1897 et où vingt-deux agents sont passés en 1898-1899 : « Nous sommes au début d’une période nouvelle, où les modestes fonctionnaires s’apprêtent à jouer un véritable rôle de pasteurs d’hommes. II ne faut plus qu’aucune défaveur s’attache à la mission de protection sociale et de réforme morale qui leur incombe tous les jours plus lourdement ».[13] (Paul Cuche, 1900).

 

Le brave Cuche se fait des illusions car lors de la discussion du budget pénitentiaire à la Chambre des députés le 20 janvier 1902, il est décidé de réduire considérablement le très modeste budget affecté au fonctionnement de l’Ecole Supérieure Pénitentiaire, qui dut fermer ses portes en 1903 …

 

La raison invoquée ne manqua pas de surprendre : fermeture provoquée « par une déviation du programme primitif, sous l’influence de personnalités qui s’étaient imposées pour y venir traiter des matières étrangères aux gestions pénitentiaires » – En fait les élèves gardiens entendent sortir de leur triste condition pénitentiaire, et ils s’ouvrent l’esprit au point d’inviter des conférenciers (en exemple l’ancien communard Jean Allemane, ancien détenu)[14]

 

L’Ecole supérieure fonctionna régulièrement jusqu’aux dernières années du XIXe siècle. Protégée par Duflos, le directeur de l’Administration, animée par l’inspecteur général Camille Granier et encouragée par Renouard, le directeur de la Santé, elle prodiguait un enseignement très ouvert à des agents souvent jeunes et de qualité. Les choses commencèrent à se gâter en 1901, après que le conseiller à la Cour des comptes Duflos eut été remplacé par le préfet Grimanelli, cependant qu’à la Santé le directeur Pancrazi succédait à Renouard. Certains directeurs, blanchis sous le harnais, avaient mal accepté l’arrivée dans leurs établissements de jeunes gradés et commis, dotés, grâce à l’Ecole, d’un bon bagage et d’une ouverture d’esprit certaine. Ils firent pression sur le nouveau directeur, qui ne résista pas beaucoup. Dans une instruction du 21 février 1901, Grimanelli ne s’embarrassait pas de précaution : à ses yeux, les prisons avaient plus besoin de « l’autorité de l’expérience » que de « gardiens-chefs qui n’auraient fait leurs preuves que sur les bancs de l’Ecole » ; aussi, l’accès à l’Ecole pénitentiaire supérieure consista-t-il désormais à « récompenser les meilleurs éléments». Le budget de l’Ecole supérieure fut amputé de 6 000 F dans la loi de finances de 1902, de 3 000 F dans celle de 1905, avant d’être carrément supprimé en 1907. L’Ecole pénitentiaire avait réussi à former 16 promotions d’élèves, elle devait laisser dans les consciences un souvenir fait de beaucoup de regrets. Les directeurs d’établissement ne se contentèrent pas de saboter l’Ecole supérieure, sous le prétexte officiel qu’elle prodiguait « plus d’enseignement général que d’enseignement pénitentiaire, » ils s’en prirent aussi aux écoles élémentaires ».

 

« Dès 1910, le préfet Grimanelli ayant été remplacé dans l’intervalle par Schrameck, l’homme lige de Clemenceau, l’Inspection générale établissait un triste bilan : « Le niveau intellectuel des gardiens de prison n’est pas, au point de vue de l’instruction, très supérieur aujourd’hui à ce qu’il était avant 1893 ». Et l’inspection de mettre le doigt sur le cœur du problème : « Rien n’est plus désirable que de donner à ce personnel une instruction professionnelle et générale qui fasse des agents les égaux de certains détenus. Il arrive, en effet, trop fréquemment, que, dans les services confiés aux détenus que l’on dénomme « comptables » ou « écrivains » sous la prétendue surveillance des gardiens, le gardien est moins instruit, moins intelligent que le détenu, et que, si l’on veut avoir des renseignements précis, c’est le détenu qu’il faudrait, sinon interroger directement, du moins, écouter quand il prend la parole, pour parer aux explications hésitantes ou erronées de l’agent pénitentiaire. » »

 

La position de l’inspection générale, fleuron de l’Administration pénitentiaire, ne devait jamais varier sur ce point.

 

Sur cette première expérience de formation des personnels pénitentiaires, les personnalités appelées à juger et à contrôler le service des anciens élèves devenus surveillants-chefs sont unanimes à reconnaître qu’ils ont constitué pour l’administration un cadre excellent.

 

En 1912, furent mises en place des conférences à destination des surveillants des colonies publiques, dont les résultats furent, selon l’inspection générale, « insignifiants. » Aux conférences succédèrent, en 1928, des « causeries, » cependant qu’un mémento était distribué à chaque agent à partir de 1921. Mais la situation demeurait catastrophique : « Les connaissances générales font souvent défaut aux jeunes surveillants. Comment se résout le problème de leur formation professionnelle ? Si dans les maisons centrales, les premiers surveillants étaient plus généralement à la hauteur de leur tâche, ils pourraient suppléer le surveillant-chef dans cet apprentissage. » Aussi décida-t-on de rouvrir, sous le contrôle de l’Inspection générale, l’Ecole pénitentiaire supérieure. Dans l’intervalle, Fresnes était devenue prison modèle[15], et c’est dans ses murs que trouva à s’abriter la nouvelle Ecole supérieure.

 

 

 


 

 

[1] C. CARLIER

 

[2] Code des prisons, tome IV, page 439.

 

[3] Article 20 de la brochure 1967, la sélection et la formation du personnel de surveillance subalterne des établissements pénitentiaires.

 

[4] Code des prisons, tome IV, page 384.

 

[5] Code des prisons, tome VI, page 215.

 

[6] Bulletin de la Société générale des prisons, 1892, page 649.

 

[7] Cette commission comprenait les principaux responsables de l’administration centrale, plus le directeur de Melun et Bertillon, le chef du service anthropométrique de la Préfecture de police.

 

[8] Code des prisons, tome XIX, page 301.

 

[9] A. BERTILLON se fit d’abord remarquer en imposant une photographie typiquement policière : de face, de profil et de trois quart. Issu d’une famille de naturalistes et de statisticiens, Bertillon entra en 1879 comme auxiliaire à la Préfecture de Police de Paris. Parallèlement à ses recherches sur la photographie, il chercha à élaborer un système infaillible d’identification. Sa réussite fut concrétisée en 1893 par la création d’un Service de l’identité judiciaire, dont il prit la direction, et où il fit pratiquer l’anthropométrie, technique de son invention, consistant à mesure les membres des condamnés de plus de 20 ans (arrêt de croissance). La dérive du système fut de glisser de la prévention et de la répression de la récidive à la recherche des types de criminels, dans le prolongement de la physiognomie (le caractère d’après le visage), de la phrénologie (caractère d’après la forme du crâne) et des théories pénales de Lombroso. L’affaire Dreyfus lui ôta tout crédit scientifique : se prétendant graphologue, il déduisit la culpabilité de Dreyfus du fait qu’on ne reconnaissait pas son écriture sur le bordereau et qu’il l’avait donc falsifiée ! L’anthropométrie, qui avait pourtant eu un succès international, fut abandonnée en 1903 au profit de la dactyloscopie (étude des empreintes digitales), inventée par l’anglais Galton (qui inventa aussi le mot « eugénisme »…

 

[10] J.PINATEL, Traité élémentaire de science pénitentiaire et de défense sociale, page 173.

 

[11] Code des prisons, tome XIV, page 481.

 

[12] Code des prisons, tome XVI, page 33.

 

[13] P. CUCHE en 1900.

 

[14] J.ALLEMANE né au village de Boucou en Haute Garonne, le 25 août 1843, mort à Herblay en Seine et Oise le 6 juin 1935, républicain sous l’Empire, communard déporté à la Nouvelle Calédonie, a donné son nom à une tendance du mouvement ouvrier français renaissant. Il s’adapta difficilement à l’unité et vécut assez pour survivre longtemps à sa rupture en 1920. (Congrès de Tours)

 

[15] Ch. CARLIER, J. SPIRE, F. WASSERMAN, Fresnes, la prison, Ecomusée de Fresnes, 1990, 150 p.

 

 

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