Les cantines des prisons
Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008
Les cantines des prisons
(Quelques extraits de l’article « Vivre avec son temps : Les cantines des prisons)
Monique SEYLER
« La cantine est, dans la prison, le « surplus[1] » que les détenus sont autorisés à se procurer, sur leur argent propre, par l’intermédiaire de l’administration et qui leur permet d’améliorer le régime ordinaire.
Ce surplus a longtemps été la pièce maîtresse du système de subsistance des détenus. Aujourd’hui, ils mangent à leur faim et la cantine est utilisée pour rendre psychologiquement supportable la quotidienneté carcérale, dans un environnement sociétal – niveau de vie, mentalités, mœurs – qui accroît, par contraste, la rigueur de l’enfermement. Il s’agit d’éviter l’explosion. Au demeurant, c’est au cours des révoltes du début des années 1970 qu’a commencé d’apparaître l’emploi actuellement dévolu au surplus.
Les années de violence et la résistible ascension des cantines.
A partir de 1971 – et quatre années durant – les prisons françaises furent secouées par une crise d’une extrême violence : prises de personnels en otage, mutineries dépassant, par leur nombre et leur gravité, l’ampleur de ce qui est habituellement toléré par l’institution[2] et, enfin, révoltes généralisées à la totalité des établissements pénitentiaires de l’été 1974. Au bilan : 11 morts.
Au-delà des événements qui ont, ponctuellement, déclenché les révoltes – tels que la suppression des colis de Noël en 1971 – et des circonstances favorisantes, comme la présence de personnels particulièrement rigides, retour d’Afrique du Nord, la politisation de certains éléments de la population pénale par les leaders emprisonnés de mai 1968, ou encore la disproportion entre le nombre de surveillants et celui de la population pénale[3], les autorités concernées estimèrent que ce qui était fondamentalement en cause, c’était l’archaïsme généralisé de la prison qui imposait aux populations entrantes des modes de vie trop éloignées de ceux de la société libre pour qu’elles puissent les supporter. En 1970, on servait encore de la soupe à midi, en plein mois d’août. Habit de droguet, sans forme et sans couleur, cheveux courts, les détenus étaient mis, dans leur aspect physique, hors du temps. Au reste, ils n’étaient pas autorisés à posséder une montre : le temps auquel ils étaient soumis était celui de l’institution, rythmé par son seul fonctionnement.
Ni journaux, ni radio, ni télévision. Peu de courriers (une lettre d’une page par semaine) et guère de visites, limitées, en outre, à la seule famille légale. Le monde extérieur était maintenu à distance, pour être inoffensif. Enfin la cantine n’était que chichement approvisionnée : ainsi les cigarettes y étaient-elles vendues à l’unité, le choix limité aux deux marques les plus ordinaires, et seuls les détenus qui avaient obtenu des « galons de bonne conduite[4] » étaient autorisées à en acheter.
La réponse institutionnelle aux mutineries se fit donc en termes de modernisation. S’agissant du régime d’exécution des peines, création en 1972, d’une permission de sortir « pour maintien des liens familiaux » et de la réduction de peine pour bonne conduite. Et, concernant la quotidienneté matérielle, une fois effectuée la mise à niveau avec les habitudes alimentaires extérieures, le chauffage installé dans toutes les prisons, et les dernières « cages à poules[5] » supprimées, l’essentiel de l’aggiornamento fut, pour cause de manque de crédits, confié à la cantine.
Les années passant, les possibilités d’achat consenties aux détenus s’élargissent, à la fois réponse d’un personnel, resté sous le traumatisme des événements de 1971-1974, aux pressions des détenus – conscients, eux, de leur pouvoir, et de ce qu’ils en avaient obtenu – et moyen utilisé par l’institution pour faire accepter l’aggravation de la condition pénitentiaire, induite d’abord par le durcissement de la politique pénale, en 1978 ( création de la période de sûreté) et, ensuite, par la surpopulation.
La réforme de 1975 – qui clôt les années de violence – cède une dernière fois sur le régime d’exécution des peines. Elle instaure deux nouvelles réductions de peine : « pour réussite à un examen » et « pour gages exceptionnels de réinsertion sociale », cette dernière réservée aux seuls condamnés à des peines supérieures à 3 ans. Et elle élargit les conditions d’octroi des permissions de sortir – en même temps qu’elle allonge leur durée – pour les condamnés des centres de détention. Ces ultimes concessions, faites, la cantine a constitué, à l’évidence, l’élément de la quotidienneté carcérale sur lequel l’institution a estimé pouvoir céder sans remettre en cause la rigueur de la peine. Outre qu’il ne lui coûtait guère… »
Sources :
- SEYLER, Vivre avec son temps : les cantines des prisons, Déviances et Société, 1988, Vol. 12, N° 2, pp. 127-145.
- Crédit photographique : Ministère de la Justice / Musée National des Prisons.
[1] C’est ainsi qu’est désigné, dans le Code Pénal de 1791, qui crée la peine d’emprisonnement, ce que les détenus peuvent se procurer pour améliorer l’ordinaire.
[2] Il y a, dans le rapport d’activité publié annuellement par l’Administration Pénitentiaire, une rubrique « incidents collectifs » qui recense les révoltes sans gravité qui sont monnaie courante dans la prison.
[3] L’institution pénitentiaire connaissait, depuis 1971, des difficultés de recrutement des personnels de surveillance, qui allaient s’aggravant. On peut lire, dans le rapport annuel de l’Administration Pénitentiaire de 1973, p. 295 : « Les conséquences d’une telle situation sont particulièrement inquiétantes et risquent d’entraîner une désorganisation des services et de mettre en cause la sécurité des établissements ».
[4] Les fameux prévôts.
[5] On appelait ainsi des « cases à lits » juxtaposées, séparées les unes des autres par une partie inférieure pleine et une partie supérieure grillagée. Ces « cases à lits » avaient tout juste cent ans d’existence ! Elles avaient été inaugurées en 1874 à la maison centrale de Poissy.
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