1946 -1947 – La Réforme Pénitentiaire – L’Ecole et le Centre d’Etudes Pénitentiaires
Posté par philippepoisson le 29 octobre 2008
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A la Libération, une commission de réforme des institutions pénitentiaires est instituée; elle est présidée par Paul AMOR[1]. Au mois de mai 1945, cette commission formule les quatorze principes qui allaient guider désormais l’action de l’Administration pénitentiaire. Le point treize de ces principes préconise « que tout agent du personnel pénitentiaire doit avoir suivi les cours d’une école technique spéciale ». C’est au mois d’octobre qu’est créée aux prisons de Fresnes la troisième école pénitentiaire.
Le contexte général de l’Institution pénitentiaire au sortir à la Libération de la France.
Le 30 septembre 1944, P. AMOR est nommé Directeur général des services pénitentiaires du ministère de la Justice. Il prend la direction d’une administration confrontée à des problèmes graves : un parc immobilier ancien, insalubre et mal entretenu avec un effectif de la population pénale qui va de cesse augmenter (67 200 détenus en mars 1946, dont 29 401 dépendants des cours de justice). Ajoutons à cela la lutte contre la faim et les maladies associées, notamment la tuberculose et le typhus dans les prisons. La question sanitaire est donc un axe prioritaire pour la nouvelle administration qui se met en place.
Quant au contexte politique, il est compliqué par l’épuration. Les responsables d’établissements pénitentiaires doivent parfois gérer le quotidien avec des comités de libération qui s’attribuent des pouvoirs de police et de justice, une autorité préfectorale en restructuration et une autorité judiciaire sensiblement désorganisée.
Pourtant, c’est dans ce contexte politico-administratif que le 9 décembre 1944, un arrêté crée une commission « chargée d’étudier, d’élaborer et de soumettre au garde des Sceaux les réformes relatives à l’Administration pénitentiaire ».
Quatorze principes fondateurs de la Réforme sont formulés en mai 1945 par la commission de réforme des Institutions Pénitentiaires Françaises dont le premier principe mérite à lui seul beaucoup d’attention « La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du détenu ».
Les personnels pénitentiaires à la Libération de la France.
Il est judicieux de rappeler que jusqu’à 1939, les personnels pénitentiaires appartenant au personnel de surveillance sont majoritairement des anciens militaires. La guerre venue, en raison du nombre important de prisonniers, une crise aggravée de recrutement endémique du corps des surveillants conduit à un renouvellement du corps, d’abord par un cadre complémentaire de retraités requis en septembre 1939 pour remplacer les agents mobilisés, ensuite par un recours massif à l’auxiliariat pour enrayer la montée de l’effectif pénal. L’effectif est passé entre 1938 et 1947 de 3 363 à 8 461 agents soit 37 % de l’effectif.
« Il s’agit donc d’un personnel beaucoup plus jeune que celui en poste avant la guerre, peu familiarisé avec le travail dans la prison et, d’origine civile. Par ailleurs, outre des conditions de travail dans des camps de détentions surpeuplés, leurs conditions de vie et de logement sont extrêmement précaires : souvent des baraquements ou des bâtiments sans hygiène, à l’intérieur des détentions qui ne permettent pas de réunir les familles. La formation inexistante et la faiblesse de l’encadrement ne peuvent être compensées que par une rigueur disciplinaire accrue. Il faut aussi s’appuyer sur les éléments les plus sûrs : les gradés, presque tous issus de l’ancien personnel d’avant – guerre, placés entre un personnel de base inexpérimenté et fluctuant et un personnel de direction assez profondément renouvelé et dont certains ne connaissent pas la détention ».[2]
Le dispositif de formation des personnels pénitentiaires de l’après guerre.
En 1945, Paul AMOR, directeur de l’Administration pénitentiaire, est conscient des lacunes de son personnel. S’il reconnaît qu’il existe des éléments compétents et volontaires, il indique clairement que la plupart sont inaptes au changement.
Le nombre élevé des agents – environ 10 000 – ne lui permet pas de mettre en place une école où chaque corps pourrait venir suivre une instruction initiale.
En conséquence, il décide d’adopter un système de formation hiérarchisée avec le Centre d’études pénitentiaires de Fresnes. D’autre part, une Ecole pénitentiaire est également créée à Fresnes pour les agents nommés dans les établissements réformés (qui appliquent le régime progressif).
Une circulaire du 27 juin 1946[3] annonce l’ouverture aux prisons de Fresnes d’un Centre d’études pénitentiaires destiné « à compléter la formation des fonctionnaires qui seront ultérieurement chargés d’instruire les agents placés sous leurs ordres et à leur permettre d’enseigner à leur tour ». P. CANNAT[4] est l’animateur de ce centre d’études qui reçoit en 1946 et en 1947 en deux promotions, tous les sous-directeurs. (L’ensemble de ces cours fait l’objet en 1949, d’une publication par l’imprimerie administrative de Melun). La formation s’adresse aussi aux surveillants-chefs.
Le Centre d’études ouvre ses portes le 1er octobre 1946. La durée des cours est de quatre semaines. Détaillons le programme dans son ensemble :
- Informer le personnel des nouveaux objectifs de l’Administration et des méthodes qu’elle entend appliquer.
- Rafraîchir et enrichir les connaissances techniques. Des professeurs bénévoles y enseignent la science pénitentiaire, le droit pénal. Des cours d’hygiène, de sociologie et de psychologie appliquée sont également au programme.
- Enfin, et c’est là un des points les plus importants, retransmettre les connaissances acquises aux agents placés sous leur ordres dans les établissements pénitentiaires. En effet, bien que Paul AMOR exprime son désir irréalisable d’instituer une école pour l’ensemble du personnel, il souhaite, pour le moment, réaliser la formation du personnel de base par la hiérarchie.
Une circulaire du 28 octobre 1946 indique quelles sont les procédures à suivre pour répercuter les connaissances. Les cadres, dès leur retour du Centre d’études pénitentiaires devront dispenser un enseignement hebdomadaire d’une heure à tous les surveillants auxiliaires, stagiaires ou titulaires. Cette session sera déduite du temps réglementaire du service.
La leçon comportera :
- L’enseignement proprement dit (le cadre aura bénéficié de cours de pédagogie lors de sa formation).
- Des interrogations orales portant sur les leçons précédentes.
Un registre sera tenu où seront mentionnés les jours et heures de cours, l’assiduité des surveillants ainsi que les notes obtenues.
D’autres circulaires des 23 décembre 1946[5], 20 janvier 1947, 14 novembre 1947, et 9 décembre 1947[6]compléteront ce dispositif. Les différents éléments de formation : école pénitentiaire pour la formation initiale, centre d’études pour la formation des formateurs, cours sur place intégrés au service pour le perfectionnement, constituent déjà un ensemble harmonieux, en avance sur la législation de la formation continue dans la fonction publique dont les textes d’application ne seront mis au point qu’en 1973.
En 1946-1947, l’Administration pénitentiaire française donne l’exemple. En effet, ce ne fut qu’en 1957 que le Conseil économique et social des Nations Unies adoptait dans sa séance du 31 juillet, une résolution dont le point 47 précisait que : « Le personnel pénitentiaire doit suivre avant d’être en service un cours de formation générale et spéciale et satisfaire à des épreuves d’ordre théorique et pratique. Après son entrée en service, et au cours de sa carrière, il doit maintenir et améliorer ses connaissances et sa capacité professionnelle en suivant des cours de perfectionnement organisés périodiquement ». Cette recommandation fut reprise dans les « Règles minima » pour le traitement des détenus diffusées par l’O.N.U. en 1958. Elle fut également reprise par l’article D.216 du Code de procédure pénale qui dans sa rédaction originale de 1958, prévoyait que « le personnel pénitentiaire est tenu de parfaire ses connaissances professionnelles dans les conditions fixées par l’Administration centrale. Il a l’obligation de suivre les cours et stages de formations assurés soit à l’Ecole pénitentiaire, soit par tout autre organisme habilité. »
L’école pénitentiaire de Fresnes a fonctionné normalement du 1er octobre 1946 à 1960 et est réservée à la formation des surveillants et des éducateurs destinés à entrer en fonction dans les établissements réformés.
Les éducateurs :
Les éducateurs constituent une nouveauté dans l’Administration pénitentiaire. Ils ont pour mission, selon P. AMOR, d’organiser des cours d’enseignement scolaire, des conférences éducatives morales ou sociales, propres à faire naître et à développer l’amendement du détenu. Leur rôle est avant tout d’observer le détenu, de suivre et noter son évolution, afin de pouvoir rendre compte, lors des réunions de la commission de classement qui décide de l’admission aux différentes phases du régime progressif.[7]
Au départ, ces agents n’avaient pas de titre et étaient rémunérés comme de simples surveillants. L’inspecteur général de l’Administration pénitentiaire, R. PETIT, estimait en 1950 que cette anomalie rendait le recrutement difficile et que la valeur des individus était sensiblement inférieure à ce qu’on attendait d’eux.
C’est en 1949, par décret du 21 juillet, que fut fixé le statut des éducateurs. Le problème de l’écart des salaires avec le corps de surveillance ne fut cependant pas réglé. Les premières nominations intervinrent le 31 décembre 1949.
Les éducateurs étaient au nombre de 66 au 1er janvier 1956 alors que R. PETIT estimait en 1950 les besoins à 250 agents pour les années à venir. Un décret du 3 mars 1952 relève le niveau de recrutement du concours. Alors que jusque-là, il fallait être titulaire du brevet élémentaire pour concourir, il faudra dorénavant posséder le baccalauréat ou un diplôme équivalent.
L’Ecole pénitentiaire de Fresnes a formé 1 867 fonctionnaires dont 1 671 surveillants, 128 gradés du personnel de surveillance, 169 éducateurs, 9 agents du personnel administratif. En général, il y a trois sessions d’un trimestre par an, pour un maximum de 60 places. Les agents formés devront mettre en œuvre les nouvelles méthodes d’observation et de traitement dans les établissements réformés. L’école est dirigée par Madame MARIANI (qui a profondément marqué tous ses élèves).
Par contre, le Centre d’études pénitentiaires connaît des vicissitudes diverses jusqu’en 1960, date de son transfert à Paris au 56, boulevard Raspail. Il se spécialise alors dans la formation des éducateurs.
Les événements d’Algérie comme les deux guerres mondiales rejettent à nouveau les problèmes de formation à l’arrière plan. L’Ecole pénitentiaire et le Centre d’études cessent de fonctionner en 1962, après seize ans d’existence…
Sources :
- G. PETIT, N. CASTAN, Cl. FAUGERON, M. PIERRE, A. ZYSBERG, Histoire des Galères, Bagnes et Prisons, Editions Privat, Toulouse,1991.
- L. PERREAU, La Réforme Amor, Mémoire d’élève-directeur, 20e promotion Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire, 1991.
- Code des Prisons XXXII pages 231 et 260.
- Code des Prisons XXXIII pages 22, 198 et 211.
Bibliographie sélective :
- M. BELLON, Le Système progressif, idée ponctuelle ou étape de réflexion, Mémoire de l’ENAP, Fleury-Mérogis, 1982.
- P. CANNAT, La Réforme Pénitentiaire, cours enseigné au centre d’Etude de Fresnes, Imprimerie Administrative de Melun, 1949.
- P. CANNAT, Les éducateurs de l’Administration pénitentiaire, Revue Internationale de droit pénal, 1950.
- C. CARLIER, Histoire du personnel des prisons françaises du XVIIIe siècle à nos jours, Les Editions de l’Atelier, Paris, 1997.
- C. CURIE, Les éducateurs des services extérieurs pénitentiaires de 1946 à 1958, certificat d’aptitude aux fonctions de conseiller d’insertion et de probation, 9ème promotion, Ministère de la Justice, Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire, 2005.
Imprimé Code Pénitentiaire, Melun, 1946 – 1958 :
- J. VOULET, Le statut et la formation du personnel pénitentiaire en France, Revue internationale de Politique Criminelle, juillet 1954, annexé au Rapport général sur l’exercice 1954.
[1] P. AMOR est nommé le 30 septembre 1944, directeur de l’Administration Pénitentiaire.- Se référer au dossier interne Paul Amor et la Réforme, dernière actualisation 2 et 3 novembre 2005, Philippe POISSON.
[2] J.G. PETIT, N. CASTAN, C. FAUGERON, M. PIERRE, A. ZYSBERG, Histoire des Galères, Bagnes et Prisons, XIIIe - XXe siècles, Introduction à l’Histoire pénale de France, préface de Michelle PERROT, Editions Privat, Toulouse, 1991, p.308.
[3] Code des Prisons, tome XXX1, page 154.
[4] P. CANNAT, magistrat. Son intérêt pour les questions pénitentiaires est déjà chose ancienne. Des les années 1930, il se préoccupe des problèmes posés par la relégation des délinquants récidivistes. Il rédige d’ailleurs sa thèse de doctorat sur ce sujet, qui est essentiellement une critique des conditions d’application de la loi de 1885 sur la relégation… Sous l’Occupation allemande, il se fait visiteur des prisons de l’œuvre de Saint-Vincent-de-Paul. Pendant deux ans (de 1941 à 1943), il se « promène » dans la prison de Fresnes… P. CANNAT a fourni incontestablement le cadre de référence dans lequel se développa la réforme pénitentiaire.
[5] Code des Prisons, tome XXXII, pages 231, 276.
6] Code des prisons, tome XXXIII, pages 22, 198, 211.
[7] M. BELLON, Le Système progressif, idée ponctuelle ou étape de réflexion, mémoire de l’ENAP, Fleury-Mérogis, 1982.
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